Il est probable qu'aujourd'hui, dans nos églises, on va nous exhorter une nouvelle fois à rendre service, à nous dévouer, à savoir nous déranger pour aider notre prochain, à agir "en bon Samaritain" - expression devenue proverbiale pour désigner un comportement serviable, philanthropique. Comme si les incroyants et les adeptes d'autres religions ne savaient pas, tout autant que nous (mieux parfois), courir au secours de leur prochain en difficulté !...
Les Pères de l'Eglise ( évêques, théologiens, grands prédicateurs des premiers siècles) ne tiraient pas de cet évangile une simple leçon de morale, ils n'exhortaient pas les fidèles à être de bons samaritains mais de prendre conscience, d'abord, qu'ils étaient LES BLESSES qui avaient un terrible besoin d'être SOIGNES ET RELEVES PAR LE CHRIST QUI EST LE BON SAMARITAIN.
Cette célèbre parabole n'est donc pas moralisante mais christologique, elle trace la mission spécifique de Jésus notre Sauveur et elle nous révèle à quel point nous avons besoin de l'amour du Christ.
Elle est une parabole de l'histoire du salut.
Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l'avoir dépouillé, roué de coups, s'en allèrent en le laissant à moitié mort.
Qui que tu sois, tu es cet homme - entreprenant le chemin de la vie, plein de qualités, de ressources, d'idées certes...mais terriblement fragile, exposé. Comment disposer de suffisamment de forces que pour résister aux assauts du mal, aux pièges des tentations, aux ruses de l'égoïsme ?..."L'homme" DESCEND, oui, vers Jéricho, la vallée de la luxuriance, mais qui est aussi le lieu de la MER MORTE. Il tente de s'épanouir, de se préserver des périls, il soigne sa santé, étudie, travaille, accumule des biens, se barde d'assurances, prolonge son existence tant qu'il peut, ...mais rien n'y fait. La pente est irrémédiable, le temps le corrode et les ennemis peu à peu le dépouillent de tout ce qu'il a. Misère de l'homme étreint par l'angoisse d'être, sans défenses, un "être-pour-la-mort".
Qui peut retenir sa vie ? Qui peut s'enorgueillir d'avoir pu résister ?...Qui arrêtera notre chute dans le précipice où tout est anéanti ? Qui nous sauvera de la mort qui attend ses proies ?...
Par hasard, un prêtre descendait par le chemin ; il le vit et passa de l'autre côté.
De même un lévite arriva à cet endroit : il le vit et passa de l'autre côté.
Un espoir apparaît : la religion peut-elle nous éviter le pire ? Les prêtres peuvent-ils nous rejoindre et nous rendre la vie ? Non. La Loi et les liturgies demeurent impuissantes ; elles s'approchent, donnent de bons conseils de morale, apprennent le chemin du bien et du mal, essaient de consoler par de douces et pieuses paroles...mais ELLES PASSENT A COTE.
Jésus n'accuse pas ici le clergé juif qui manquerait de c½ur : il met le doigt sur l'incapacité foncière de toute Loi, de tout cérémonial, de toute ascèse, de toute mystique à rejoindre l'homme pour le relever et le sauver. Tant d'enseignements écoutés, tant de résolutions prises, tant de conseils prodigués, tant de cérémonies chantées...Pour quoi ? Avec quel résultat ?...
Alors, l'homme est-il perdu, condamné à mourir seul, sans recours ?...
Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près du blessé,
il le vit et fut bouleversé aux entrailles.
Il s'approcha, pansa ses plaies en y versant de l'huile et du vin.
Alléluia ! voici le salut. Non, le SAUVEUR. Jésus, ce "voyageur" venu du Père, s'approche de l'humanité moribonde. Il n'édicte pas une Loi qu'il suffirait d'appliquer pour vivre.
Il VOIT dans quel état nous sommes, il entend nos cris angoissés et IL EST BOULEVERSE AUX ENTRAILLES (et non seulement "pris de pitié"). Ce verbe qui signifie une compassion maternelle (la douleur d'une mère qui découvre son enfant écrasé) est toujours réservé à Jésus dans tous les évangiles. (C'est d'ailleurs ce qui justifie la lecture que nous faisons).
Oui Jésus nous révèle que Dieu, loin d'être en furie à cause de nos défaillances, est au contraire ému, bouleversé de voir dans quel état le péché nous a mis. Car le péché n'est pas un plaisir furtif et anodin : il nous jette dans la poussière, nous condamne à la mort.
Et comment le Christ nous rend-il la vie ? Par l'onction d'HUILE du baptême et par le VIN de son Eucharistie. Les sacrements en effet ne sont pas des récompenses pour pharisiens mais des remèdes, des médicaments indispensables, des sources de vie.
Puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux pièces d'argent, les donna à l'aubergiste : " Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai".
Le passage du Christ sur terre a été éphémère, rapide mais avant de disparaître, il a fondé son Eglise. Celle-ci n'est pas l'Académie des vertueux, la crème de l'humanité, l'assemblée des champions : elle est clinique, dispensaire, fourre-tout. Elle est cette auberge ouverte jour et nuit, qui a la charge jusqu'à la fin des temps d'accueillir tous les paumés, les épaves, tous ceux et celles qui ont compris la profondeur de leur mal et ont accepté de se laisser soigner par le Christ médecin.
L'"aubergiste", le responsable, n'a d'autre mission que de recevoir ces multitudes de personnes que le Christ lui envoie et de leur prodiguer tous les soins possibles afin de les remettre sur pied.
Comment ? Grâce aux "deux pièces", aux deux remèdes ( Baptême et Eucharistie), aux deux commandements que Jésus a enseignés (Tu aimeras Dieu de tout ton c½ur et tu aimeras ton prochain comme toi-même). Maintenant ce ne sont plus de simples ordres assénés à des gens incapables de les mettre en pratique, mais des cadeaux offerts à des blessés sans force à qui, peu à peu, avec une infinie douceur, il faut apprendre à s'accueillir et à aimer tous leurs compagnons de misère qui, comme eux, sont des éclopés rencontrés par le Christ.
Parce qu'ils ont reçu l'amour de leur Dieu fait homme, parce que, enfin, ils se savent aimés - non en dépit mais à cause de leur misère -, alors ils peuvent partager entre eux cet amour. Rétablis, remplis de sa Force, ils peuvent devenir attentifs à leur tour à ces multitudes qui gisent dans les fossés de l'histoire, ces désespérés qui hurlent dans la solitude.
Et un jour, le SamaritaIn REVIENDRA comme il l'a promis : il rendra au centuple tout le service d'amour qui se sera prodigué dans l'Eglise afin de soigner tous les pécheurs.
CROIRE, avoir confiance en Jésus, le seul médecin, le véritable Sauveur. SE LAISSER AIMER en perdant tout orgueil. AIMER en déployant envers l'autre blessé la charité reçue. ESPERER que l'humanité sera un jour à jamais debout, guérie enfin de son mal et unie à son Sauveur dans la Gloire du Père.
Vraiment seul Jésus a eu le génie de révéler en cette petite histoire la prodigieuse aventure de l'humanité.