16e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Les 3 paraboles de ce jour font partie d'un groupe de 7 qui constitue un grand discours de Jésus sur le Royaume. « Il en va du Royaume des cieux... » Des trois, le blé et l'ivraie, le grain de sénevé et le levain dans la pâte, nous retiendrons la première. Elle pourrait s'intituler aussi la parabole du semeur, comme une autre bien connue, si nous n'apprenions qu'il s'agit en fait de deux semeurs et qu'il y a conflit entre eux. C'est là le n½ud du récit.

Voilà un champ destiné à l'agriculture qui devient un champ de bataille. Le semeur ou maître de maison signifie, selon la tradition rabbinique, qu'il s'agit de Dieu. Il sème du blé, céréale très appréciée et que produit le bon sol de Palestine. Mieux on comprendra la fonction du blé, mieux on saisira celle de l'ivraie. Or, le blé dans le Nouveau-Testament c'est le pain, l'image du Christ. De blé ou de vin, c'est toujours de Jésus qu'il s'agit, de la présence de Dieu, de la plénitude de l'amour.

Or, voici que surgit, à la faveur de la nuit, un second semeur. La nuit biblique est le symbole du mal, du péché et de la mort. Dieu, lui, agit dans la lumière. Jésus dira que celui « qui fait le mal déteste la lumière et ne vient pas à la lumière de peur que ses ½uvres soient démasquées. » Ce deuxième semeur est un ennemi puissant. L'ampleur du désastre est suggérée par le désarroi des serviteurs. C'est l'abondance insolite de l'ivraie qui bouleverse ceux-ci et cette abondance même qui trahit l'action d'une main ennemie. Il a semé de l'ivraie. Cet épi effilé et noirâtre est plus petit que le blé et constitue un bon combustible. On s'en servait pour faire du feu dans un pays où le combustible manquait. L'ivraie est un mot sémitique proche de zizanie et donc à l'opposé de la plénitude de l'amour. Ce semeur-là est un fauteur d'iniquité notera Jésus. Il faut intervenir. Mais quand ?

A cette époque les semailles et le sarclage étaient des opérations délicates dont les récoltes dépendaient en partie. Dieu envoie son fils parmi nous et la haine le rejette. Que faire ? Le sarclage proposé par les serviteurs n'a rien d'absurde. L'opération est couramment pratiquée, mais ici le maître-Dieu opte pour la patience. Les mauvaises racines se sont mêlées inextricablement aux bonnes. En d'autres termes, Dieu demande la constance devant l'épreuve du mal que l'on ne peut vaincre. Laissez l'ivraie, laissez le mal courir est une décision lourde de conséquences mais qui n'aura qu'un temps car c'est Dieu qui est le maître de la moisson et du Jugement.

On peut donner plusieurs interprétations de cette parabole si courte, mais si dense. En tout premier : devant le mal que l'on ne peut vaincre, il faut, dans la foi, croire que Dieu aura le dernier mot et, en attendant, prendre son mal en patience, par la vertu de la constance. Jésus dira par ailleurs » C'est par votre constance que vous possèderez vos vies. »

Très tôt, sous l'influence pascale et selon les besoins des églises, une autre interprétation s'est répandue. Et c'est l'application allégorique que Mathieu met dans la bouche de Jésus. « Il faut mettre à profit le temps présent. Des débuts qui sont des échecs peuvent être promus à de très grands avenirs. Du mal et du péché, Dieu peut faire jaillir un cri d'espérance et d'amour. » Ainsi, le croyant est frappé par l'abondance de l'ivraie, mais Dieu, lui, est frappé par les promesses du bon grain !

Oui, en nous, inextricablement mêlés, montent le blé et l'ivraie, l'amour et la haine ! C'est toute l'ambiguïté de la condition humaine qui est exprimée ici. Mais, qui peut avoir la prétention manichéenne de classer toutes choses en deux camps bien distincts : bien et mal, vérité et erreur, sainteté et péché ? L'erreur peut drainer sa part de vérité, la bonne conscience sa part d'aveuglement ? En chacun de nous il est arrivé de pressentir l'ange et de flairer le malin.

La petite parabole du levain vient confirmer en une phrase cet enseignement d'espérance. Oui, du mal peut sortir du bien. Il s'agit là du levain. Ce peu de pâte fermentée qui prenait chez les juifs un sens péjoratif « méfiez-vous du levain des pharisiens », dira Jésus, mettant en garde contre toute déformation. Mais ici, le levain a un sens positif. Le moins bon en nous, le pas toujours reluisant, peut transformer et dynamiser notre être vers Dieu. En effet, on peut s'étonner de la quantité de farine qu'un peu de levain fait lever ! (3 boisseaux égalent 40 litres). Cette masse de pâte par rapport à la petite quantité de levain suggère la puissance de fermentation qui va la faire lever.

De notre nature blessée peuvent naître tant d'actions bonnes, d'½uvres créatrices. C'est de la part de Dieu, une affirmation d'espérance pour l'homme. Jésus nous dit que malgré la lourdeur du monde pécheur, notre incommensurable faiblesse, nos débuts difficiles ou nos échecs répétés, le projet d'amour de Dieu est voué à un succès total. Il ne se laissera pas vaincre et ne veut pas que sa créature soit vaincue. Un jour, la vie remplacera la mort et l'amour triomphera de la haine. Ce sera l'heure de Dieu.

En attendant reconnaissons autant notre qualité d'enfant de Dieu que notre condition de pécheur. L'individualisme et le gaspillage sont l'ivraie de notre temps et nos véritables ennemis. L'indifférence ! Tous, certes, cherchent le bonheur mais la majorité des gens désirent uniquement le leur ou tout au plus, celui de leur famille proche. Pour le reste, la plupart laissent leur bonne conscience calée dans la soie moelleuse de leur petit confort personnel. Le gaspillage ! Nous gaspillons et détruisons nos forêts entières pour faire des mouchoirs jetables. A leur image, tout devient jetable, les briquets, les stylos, les appareils de photo, les ustensiles de cuisine, les vêtements, si ce n'est pas un jour, les mourants et les vieillards ! Et sans nous en apercevoir tout deviendra jetable, jusqu'à nous-même !

Quand de telles idées font le tour de la planète, proposées en publicité par des ignorants et financées par des sociétés multinationales, il ne faut plus s'étonner du niveau de conscience d'une partie de l'humanité et de l'ambiguïté fondamentale de la race humaine, à la fois humaine et infra humaine. Face à cela, notre foi affirme d'autres valeurs dont celle de pouvoir nous convertir à du meilleur, comme nous l'enseigne la parabole de ce jour.

A chacun d'accueillir la bonne nouvelle de l'Evangile dans son champ de bon blé et d'ivraie. Peut-être serons-nous parfois des disciples pleins d'enthousiasme comme Pierre, André, Jacques et Jean quand le Seigneur vient les appeler à laisser derrière eux leurs filets et l'ivraie du vieil homme. Peut-être nous sentirons-nous menacés par l'ivraie de la tiédeur ou de la lâcheté, comme ces mêmes disciples quand ils trouvent inquiétant cet homme qui les entraîne vers le Golgotha. Peut-être, nous retrouverons-nous dans le désespoir comme Pierre sur le chemin de la Croix ou comme les deux disciples déboussolés sur le chemin d'Emmaüs. Ou enfin, tout simplement, nous trouverons-nous dans le doute comme les foules du temps de Jésus ou maintenant, dans des époques de conjectures obscures et périlleuses.

C'est dans l'acceptation de nos limites que réside la plus grande difficulté. Cela demande l'espérance et la patience dont parle Jésus, une humilité sans restriction, une foi sans mesure et un amour sans réticence. Se dire que nos lacunes et ce mal qui nous afflige peuvent devenir la source d'un amour nouveau est un renversement de nos conceptions humaines terrestres. Mais c'est en cet éclatement de nos jugements de valeurs que réside le grand risque de la foi et la beauté de la vie du Chrétien. L'enjeu de notre foi s'exprime au c½ur de cette expérience d'espérance. L'amour du Seigneur ne se vit qu'au-delà de cette délivrance. Toute vie humaine, même dégradée, peut faire refleurir son printemps. A nous d'être le jardinier de Dieu dans le champ de blé de nos vies.