1er dimanche de Carême, année C

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013


« Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le démon s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé ».
« Toutes les formes de tentations » : Jésus est tenté au niveau du manger, c'est à dire des besoins basiques, liés à la survie. Il est tenté au niveau du pouvoir, le pouvoir universel, sur toutes les nations. Et il est tenté au niveau de la foi : instrumentaliser Dieu pour obtenir certains prodiges, en quelque sorte pratiquer la magie.
L'Evangile concentre dans un récit stylisé ce qui fut le problème permanent de Jésus tout au long de sa vie : lorsque le peuple veut le prendre comme roi, lorsque les disciples veulent faire descendre le feu du ciel sur un village récalcitrant, ou encore lorsqu'au bord du puits, fatigué par le chemin, il a soif.
Jésus est tenté. Cela nous montre qu'il est normal d'être tenté, mais interrogeons-nous sur la nature de la tentation. Jésus a faim et il souhaite transformer les pierres en pain. C'est ce que tout agriculteur pratique dans son métier. Il souhaite le pouvoir sur les nations car c'est l'objet même de sa mission pour les conduire à Dieu. Il pense se jeter en bas sans se casser les os. Il vivra l'ascension, le parachute ascensionnel ! La tentation ne porte pas sur l'objet, mais sur la manière de l'obtenir. La tentation comme telle n'est pas mauvaise. Contrairement à certains courants de pensée comme le bouddhisme, pour le christianisme le désir est bon. Sauf si nous sommes psychiquement malades, nous désirons des choses très bonnes et très belles. Mais nous sommes tentés de les obtenir de manière dévoyée : les obtenir immédiatement, alors qu'il faudrait travailler, patienter, respecter, entrer en relation. Pour changer les pierres en pain, il faut au moins semer, récolter, moudre le grain, faire cuire le pain. Pour devenir un artiste, il faut beaucoup s'entraîner. Pour exercer sa mission, comme tout le monde, Jésus est tenté par la facilité. Nouvel Adam, il est tenté de jouer au petit dieu. Et nous aussi, nous sommes tentés d'attendre de lui ce qui ne convient pas.
« Descend de ta croix, et nous croirons en toi ! » disaient les passants. Qu'attendons-nous de Jésus ? Que lui demandons-nous ? Quelle relation avons-nous avec lui et avec Dieu ? Quel rôle lui faisons-nous jouer ? N'est-ce pas nous qui venons le tenter ?
Jésus est le messie et, pour accomplir sa mission, il est tenté d'utiliser des moyens qui ne sont pas des moyens humains. Il est tenté d'échapper aux limites de la condition humaine. Dans nos projets, pour faire face à nos responsabilités, nous sommes nous aussi souvent tentés de nous prendre pour des messies triomphants et de nous prendre pour des petits dieux.


L'actualité de cette semaine éclaire d'un jour particulier ce récit des tentations. Le pape Benoît XVI vient de démissionner. Pourquoi donc cette démission a-t-elle provoqué un pareil « coup de tonnerre » ? Pourquoi paraissait-elle impensable il y a quelques semaines ? Pourquoi la suggérer serait alors passé pour sacrilège ? Pourquoi donc avoir peur ? Pourquoi être plus papiste que le pape ?
Il y aurait une manière de sacraliser le personnage, d'en faire une sorte de demi-dieu, d'idole sacrée. On attendrait tout de lui. Il n'aurait droit ni à l'erreur ni au vieillissement. Certains se disent abandonnés, désemparés, comme des enfants dans la rue. Ils lui reprochent d'avoir démissionné et quasiment de trahir sa mission. Il faudrait qu'il meure à la tâche. Ils le sacrifieraient volontiers à sa fonction.
Que signifie cette papolâtrie ? Un pape n'est qu'un pape. Il ne doit pas se prendre ni se laisser prendre pour « bon dieu ». Le cardinal de Paris l'a dit avec humour. Le pape est avant tout l'évêque de Rome, dont la cathédrale est la basilique Saint Jean du Latran. Les cardinaux qui l'élisent sont les curés doyens de la ville, une église qui leur est attribuée. Du fait de l'allongement de l'espérance de vie, depuis le Concile Vatican II, les évêques prennent leur retraite à 75 ans, les cardinaux n'ont plus voix active à partir de 80 ans, n'est-ce pas suffisant ? La vie terrestre est limitée, les forces humaines sont limitées.


De même que Jésus accepte les limites de sa condition sans entrer dans la tentation de toute-puissance, l'évêque de Rome accepte les limites qui sont les siennes. Lorsque la fonction exige plus qu'il ne peut assumer, il a le droit de démissionner. La surprise qu'a déclenché ce geste magnifique, éminemment libre et évangélique, montre que les tentations se trouvent des deux côtés.
Lorsqu'un jour Jésus a déclaré qu'il devrait souffrir et même mourir, Pierre lui a dit « Non, Seigneur, cela ne t'arrivera pas ! » et vous savez ce qu'a répondu Jésus : « Arrière, Satan ! »
N'oublions pas cette parole du Christ : « il vous est bon que je m'en aille! »  et que l'exemple de Benoît XVI nous aide à ne pas trop attendre de ceux qui sont en responsabilité. Quand nous exerçons ces fonctions, ne nous prenons pas trop au sérieux, ne nous prenons pas pour des messies, des sauveurs, des personnages providentiels, irremplaçables. Sachons aussi, le moment venu, céder la place et nous effacer.
Vous connaissez la réplique de Jean XXIII lorsque s'est présentée à lui la supérieure générale des mères du Saint Esprit. Il lui dit gentiment « Moi, je ne suis que le pape » !