28eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 4/10/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

La décision de Césarée – quand Jésus a décidé de monter à Jérusalem – coupe la vie de Jésus en deux périodes. Dans la première, tout se déroule bien : les gens font un triomphe à ce Galiléen qui promet la venue du Règne de Dieu et guérit les malades. Mais dès la marche vers la capitale, Jésus annonce le refus auquel il va se heurter et il enseigne à ses disciples des exigences rigoureuses (vus les dimanches précédents) : porter sa croix, servir à la dernière place, respecter le mariage, ressembler aux enfants et (évangile d’aujourd’hui) : se garder du danger de l’argent

UNE VOCATION AVORTEE

Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »

Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. »

L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. »

Cet anonyme était sans doute un jeune homme, comme le note Matthieu (19, 20) et d’ailleurs on dira qu’il a encore ses parents. Survenant tout à coup, il manifeste une grande vénération pour ce maître à qui il pose la question essentielle: « Que faire pour accomplir ma vie avec Dieu ? ». Le début de la réponse de Jésus étonne : sans doute ne veut-il absolument rien enlever à la Gloire unique de son Père. Et puis peu lui chaut les compliments : il renvoie le jeune à la pratique fondamentale du Décalogue et d’abord aux commandements qui traitent des relations avec le prochain : respecter la vie, le mariage et la réputation d’autrui. Et avant de revenir au 5ème commandement sur l’honneur dû aux parents, il ajoute une mise en garde aux patrons : « Tu n’exploiteras pas un salarié malheureux et pauvre, un de tes frères ou un émigré : le jour même tu lui donneras son salaire » (Deutéronome 24, 14).

L’apparence de son interlocuteur a dû montrer à Jésus qu’il avait affaire à un jeune et riche propriétaire auquel il rappelle la valeur éternelle de la Loi de Dieu, chemin vers la Vie divine.

L’homme, honnête et sans ostentation, assure qu’il a toujours vécu cet idéal. Mais alors, s’il se sent en règle vis-à-vis de la Loi, s’il ne voit rien à se reprocher, pourquoi est-il accouru pour questionner Jésus ? Il lui manque quelque chose puisqu’il se sent insatisfait. L’obéissance aux préceptes ne le comble pas : il ressent que devant Dieu on ne peut se limiter à une observance des règles. L’amour ne s’enferme jamais dans la pratique de préceptes.

Jésus regarde avec affection ce jeune plein de foi et il lui propose d’aller jusqu’au bout de son désir afin de combler ce qui lui manque :

Jésus posa son regard sur lui et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »

Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.

« Va, vends, donne, viens, suis-moi ». Jésus n’a jamais lancé tel appel à tous ses auditoires comme si le dépouillement total était la condition du salut. Il demandait plus de générosité, des aumônes plus généreuses car le mariage, les enfants à élever, la maison à tenir et les charges professionnelles exigent évidemment une certaine possession d’argent. La foi ne réduit pas les croyants à la mendicité.

Mais à certains, comme Simon et André, Jacques et Jean, Lévy ou ce jeune d’aujourd’hui, il est proposé de renoncer à tout, d’abandonner les parents (aimés) et toute possession (nécessaire) non par ascétisme mais pour « suivre Jésus » en toute disponibilité, participer à sa mission itinérante, et être signes vivants que le Royaume de Dieu est en train de survenir.

Il ne s’agit que d’une invitation à laquelle le candidat doit répondre librement. Notre jeune ne trouve pas exagérée ou aberrante la proposition de Jésus, il semble reconnaître que là est bien le bonheur qu’il cherche et que les lois ne lui donnaient pas. Mais il n’a pas le courage de renoncer à sa prison dorée et il se détourne tout triste, signe qu’au fond de lui-même il perçoit qu’il vient de rater le tournant de sa vie.

LE DANGER DES RICHESSES

Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? ». Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »

Jésus ne fait rien pour retenir le jeune et, élargissant le problème, il lance à l’adresse de tous ses disciples un grave avertissement. L’argent n’est pas seulement un moyen d’échanges mais il est une idole, il a la puissance d’un dieu : l’homme croit s’en servir mais c’est lui qui se sert de l’homme, qui le tient dans son pouvoir si séduisant. On croit être propriétaire et on est possédé.

Dès le début, dans sa première parabole, celle du semeur, Jésus expliquait qu’il lançait ses messages comme des grains et que ceux-ci fructifiaient différemment : « Certains sont ensemencés dans des épines : ce sont ceux qui ont entendu la Parole, mais les soucis du monde, la séduction des richesses et les autres convoitises s’introduisent et étouffent la Parole qui reste sans fruit » (4, 18).

Cette dénonciation de la richesse laisse les disciples pantois : ne leur avait-on pas appris que Dieu comble de bénédictions ses fidèles serviteurs tels Abraham ou Jacob ? Si la richesse ferme la porte du Royaume, qui peut prétendre être indemne de tout attachement à l’argent ? Car qui n’est pas plus ou moins riche ? « Qui peut être sauvé » ?

A nouveau, Marc note le regard de Jésus sur ses interlocuteurs, comme s’il fallait bien se laisser regarder par lui pour être capable de le comprendre. Oui, dit-il, aucun homme, par lui-même, ne peut se détacher, « c’est impossible ». Mais non pour Dieu. Sa Bonté est tellement puissante qu’il peut ouvrir des mains qui se crispaient, des cœurs qui se fermaient comme des coffre-forts.

CELUI QUI DONNE REÇOIT.

Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. »

Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle ».

Pierre se rengorge : « Nous, nous avons tout laissé pour te suivre ». Et Jésus promet la véritable richesse : ceux qui laissent là 7 réalités en retrouveront 6 – et en quantité beaucoup plus grande - dans la communauté de Jésus ressuscité. Et en perdant « un père » terrestre, ils retrouveront tous un unique Père des cieux. Mais leur geste, bousculant l’idole adorée par beaucoup, sera perçu comme tellement contestataire, tellement dangereux, qu’ils seront critiqués, vilipendés, combattus, persécutés.

Mais qu’ils se réjouissent et gardent l’espérance car, dans le monde en train de venir, ils recevront « la Vie divine » - ce but que le jeune cherchait et dont il n’avait pas eu le courage de payer le prix.