RECOMMENCER L'EVANGILE
Il ne faut pas se fier à nos livres qui affichent « Evangile de saint Marc » car ce titre a été ajouté plus tard par les éditeurs. En réalité Marc (qui est-il ?) a intitulé son livret par ce qui en est le premier verset et qui en dévoile d'emblée le sujet et la composition :
« COMMENCEMENT DE L'EVANGILE DE JESUS : MESSIE ET FILS DE DIEU ».
Dans toutes les cours de l'Antiquité, il y avait des « hérauts » chargés de circuler à travers le pays pour annoncer les nouvelles : « La Reine a donné naissance à un garçon...Notre vaillante armée a remporté une éclatante victoire sur nos ennemis...Etc. ». Les apôtres furent les nouveaux hérauts de la Bonne Nouvelle Universelle : sans tambour ni trompette, sans recherche d'argent ou de gloire, ils se pressaient d'annoncer partout l'Evangile de Jésus ressuscité, débordant toutes frontières pour rejoindre toute personne humaine. Donc au point de départ, l'EVANGILE est d'abord un cri, une annonce, une parole.
Mais très vite l'hostilité contre ces messagers se durcit et les témoins disparurent l'un après l'autre. En outre, en 70, éclatait l'horrible nouvelle de la destruction de Jérusalem et de l'incendie du temple. Les chrétiens se mirent donc à noter quelques souvenirs que l'on gardait de Jésus à travers les témoignages de ses apôtres. Et MARC fut le premier à rédiger une présentation complète (en tout cas, on n'a rien conservé des tentatives antérieures, s'il y en eut) car il est manifeste que Mattieu et Luc se sont, par la suite, inspirés de lui. Avec lui l'EVANGILE devient un LIVRE. Avec un danger : la joie de dire une bonne nouvelle peut devenir lecture curieuse, simple mise au courant. La parole sautillante devient lettre figée.
Marc ne dit pas qu'il va raconter « l'histoire » de Jésus avec toutes ses péripéties mais montrer comment l'apparition de Jésus a résonné comme LA BONNE NOUVELLE. A travers le récit de quelques actes et enseignements, son livret se présente comme une recherche à propos du personnage. Il y a effectivement Evangile quand le lecteur peut répondre à la question fondamentale. Non « qu'a-il-dit ? » mais « QUI EST JESUS ? ». Et le titre indique le plan de Marc en deux grandes parties :
-- au milieu, en 8, 29, à Césarée, Simon Pierre, le juif, confesse à Jésus : « Tu es le Messie » ;
-- et à la fin, en 15, 39, au pied de la croix, le centurion romain, le païen, « voyant comment Jésus avait expiré, dit : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu ».
Religion juive et religion païenne se rejoignent dans une foi qui les dépasse, détruit les frontières et unifie les peuples dans l'Amour enfin révélé et donné en plénitude.
A nouveau, au cours de cette année, Marc va nous guider pour répondre. Et la proclamation de son texte, intégrée dans la célébration eucharistique, retentira comme la Parole vivante d'un Seigneur qui continue de parler et de se donner : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang : écoutez, prenez et mangez ». C'est ainsi que le texte de Marc n'est pas un document sur un mort, la mémoire d'un héros disparu, mais une Parole qui nous sollicite afin qu'à notre tour, nous confessions encore aujourd'hui « Jésus est MESSIE...FILS DE DIEU » et que nous en tirions les conséquences pratiques. Marc a dit que son Evangile (écrit sur un parchemin) était « un commencement » afin qu'il ait une suite : qu'il devienne notre chemin et que, en le mettant en pratique, nous l'écrivions par notre vie.
LE PRECURSEUR
Pour persuader ses lecteurs juifs, Marc devait impérativement montrer que Jésus était bien le Messie tel qu'il était esquissé dans les Ecritures de son peuple. Le salut de l'homme en effet ne peut être un miracle qui survient d'ailleurs et qui nous resterait extrinsèque : Dieu aide l'homme à accomplir sa propre histoire. D'où l'ouverture du livre de Marc par des citations bibliques très bien choisies.
1) « J'envoie mon message devant toi » : Dieu assure les Hébreux libérés d'Egypte avec Moïse qu'il les conduira sûrement dans la terre promise (Ex 23, 20)
2) « Pour préparer ton chemin » : Malachie, le dernier prophète, rapporte l'oracle où Dieu affirme que « l'ange de l'Alliance » va venir pour le jugement dernier (Mal 3, 2).
3) « Une voix crie : « Préparez le chemin du Seigneur... » : Le prophète anonyme, appelé le 2ème Isaïe, clame aux déportés juifs à Babylone que leur exil est terminé et qu'ils vont rentrer au pays (Is. 40, 3).
Donc Marc a bien compris la progression cohérente de la Révélation : après les deux exodes, les deux retours précédents (d'Egypte et de Babylone), Jésus va réaliser la 3ème et définitive libération : celle de l'esclavage du péché - laquelle est elle-même figure et gage de l'ultime libération eschatologique lors du Jugement.
COMMENT ANNONCER LA VENUE DU CHRIST SAUVEUR ?
Si l'Eglise est désormais la manifestation de Jésus Seigneur (« son Corps » dit S. Paul), elle doit, pour commencer et recommencer sa mission, se rendre d'abord, comme Lui, près d' « un précurseur ». C'est le sens de l'AVENT. Autrement dit quelle est l'équivalence actuelle de la scène de notre évangile ? Il ne s'agit évidemment pas de se rendre en Israël pour découvrir l'endroit exact où opérait le Baptiste, ni de le copier exactement, ni même de nous mettre au régime des sauterelles (pas mauvais, paraît-il !).
Chaque point du texte est donc à méditer :
« Jean paraît dans le désert et proclame un baptême de conversion pour le pardon des péchés ». C'est dans une certaine solitude que nous devons mener une recherche personnelle. Il nous faut « sortir » de nos idées toutes faites, de notre soumission aux modes. La venue du nouveau monde ne se prépare ni à l'Olympia ni devant les séries télévisées ni en courant dans les galeries marchandes mais dans « le désert », là où nous ressentons notre isolement, notre fragilité, là où s'éveille notre vraie soif de plénitude, notre désir de Dieu.
Ne se trouve que celui qui se cherche. Unique.
« Ils se faisaient baptiser par lui en reconnaissant leurs péchés ». Il est vain de hurler contre les scandales, de dénoncer les m½urs dépravées, d'échafauder des utopies. C'est toi, c'est moi, qui devons initier une démarche personnelle. « C'est moi qui dois changer » disait mère Térésa. Jean-Baptiste interpelle chacun : es-tu content et fier de toi ou oses-tu te remettre en question, « reconnaître » que le malheur du monde provient d'abord de ton péché à toi, du mal que tu as commis ? N'essaie pas de le gommer, de t'en dédouaner facilement.
Avouer sa faiblesse n'est pas masochisme mais premier pas vers la lumière.
« Jean était vêtu d'un vêtement en poils de chameau...il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage ». Ne cherche pas ton salut dans la science (elle peut faire des bombes) ni dans les banques (elles peuvent faire faillite), ni dans les oripeaux et les paillettes des spectacles (ils peuvent te mentir). Reste sourds aux refrains qui flattent, aux slogans qui anesthésient. Va près du pauvre. Remets en question ta consommation, ton mode de vie. Va écouter l'homme heureux qui s'est dépouillé pour te dire la vérité.
« Jean proclame : Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de me courber pour défaire la courroie de ses sandales ». N'écoute pas les maîtres trop sûrs d'eux-mêmes. Méfie-toi de quiconque te promet le bonheur immédiat, le top de la réussite, la suppression du mal, l'ivresse goulue. Jean dénonçait le péché, exigeait la conversion mais il était conscient de ses limites, il savait qu'il n'apportait pas la solution de nos problèmes. Il créait l'attente d'un Autre.
Ne crois pas celui qui promet de te satisfaire mais celui qui élargit tes questions et dilate ta béance.
« Moi, disait Jean, je vous ai baptisés dans l'eau ; lui vous baptisera dans l'Esprit-Saint ». Les baignades enivrées sur les plages de rêve, les ablutions répétées des Esséniens de Qumran, les plongées des Hindous dans le Gange, et même l'eau du Jourdain avec un prophète comme Jean-Baptiste : aucune purification extérieure ne peut réellement changer l'homme. Seul le baptême de Jésus, avec l'eau pleine du feu de l'Esprit, peut laver de toute souillure, dilater le c½ur, faire tomber les liens, faire renaître, RECREER l 'homme.
CONCLUSIONS
De même que Jésus n'est survenu qu'après le long chemin de l'histoire où s'écrivaient les préludes de son arrivée, ainsi l'homme ne peut le découvrir aujourd'hui que s'il lit son propre passé comme « son ancien testament » où les recherches, les désirs, les échecs constituent les étapes de la recherche de Dieu... et de soi.
Nous n'avons pas à nous morfondre sur nos fautes ni à maudire les saletés du monde : toutes sont des appels à plus, à autre, à fin. Aspiration non vers richesse et gloire mais vers Quelqu'un qui, seul, peut nous accomplir.
Jésus, dit Marc d'emblée, est « Messie et Fils de Dieu » : « commencement » afin que « de commencement en commencement nous allions vers des commencements qui n'ont pas de fin » (S. Grégoire)
Que voulons-nous faire de cette année qui « commence » ?
2e dimanche de l'Avent, année B
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Avent
- Année liturgique : B
- Année: 2011-2012