30ème dimanche, année A

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 26/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

QUAND  ON  N’A  QUE  L’AMOUR . . .

Sur l’esplanade du temple, les ennemis de Jésus se succèdent pour le piéger mais il a toujours la réponse sensée et adéquate : oui il faut payer le tribut à l’empereur de  Rome (contre les zélotes et la révolution violente) ; oui il y a résurrection des morts (contre les grands prêtres sadducéens - épisode sauté cette année) ; oui l’amour est le cœur de Dieu et de la Loi (contre les arguties et les règlements des légistes). En effet il y avait un 3ème problème débattu dans les écoles théologiques: quel est le principe essentiel de la Loi ? C’est l’évangile de ce jour.

Les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? ». Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ». Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »
Si même ils comptaient dans leurs rangs certains hypocrites et faux dévots, les pharisiens étaient des laïcs extrêmement soucieux d’observer la Loi de Dieu dans tous ses détails ; leurs légistes s’appliquaient sans arrêt à scruter les Ecritures et à préciser les préceptes à enseigner au peuple afin qu’Israël soit vraiment le peuple de Dieu. Dans l’amas des lois et des traditions, il fallait dégager l’essentiel de l’accessoire et les opinions divergeaient : qu’est-ce qui est le plus important : le shabbat ? la circoncision ? la prière ? l’alimentation casher ? le jeûne ? les fêtes ? l’aumône ?....
Jésus fournit la réponse essentielle, celle qui, jusqu’à la fin des temps, éclaire la conduite humaine.

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ».
Voilà le grand, le premier commandement.

Jusqu’à aujourd’hui encore, tout Juif doit, matin et soir, prononcer la profession de foi essentielle appelée le « shema » : « Ecoute, Israël, YHWH notre Dieu est YHWH un. Tu aimeras….. » ( Deuter 6,4). Il n’y a donc qu’un Dieu (Elohim créateur) mais il s’est révélé sous le nom de YHWH (Je suis) lorsqu’il a libéré les Hébreux de l’esclavage, leur a fait passer la mer, a fait alliance avec eux au Sinaï, leur a donné sa Loi, les a guidés à travers le désert jusqu’à la terre promise.
Donc au point de départ et au fondement de tout, il y a l’amour gratuit et actif de YHWH le Seigneur : écoute tout ce que le Seigneur a fait pour toi. En réponse, il est demandé à Israël d’être reconnaissant, de craindre YHWH, de le servir, d’observer ses lois et même de l’aimer. « Tu aimeras » n’est donc pas un précepte arbitraire mais un dû pour un reçu. C’est parce que tu es aimé (ce que l’histoire de tes ancêtres te révèle et te prouve) que tu dois aimer en retour. L’amour de Dieu est reçu afin d’être donné : il consiste donc à imiter YHWH : libérer le prisonnier, le guider, l’éclairer, lui donner un projet.

Cet amour pour YHWH requiert toute l’existence du croyant.
-- « de tout ton cœur » : en hébreu le mot ne désigne pas l’affectivité, la sentimentalité mais le centre où la personne crée sa vie, là où elle raisonne, veut, décide, s’engage.
-- « de toute ta vie » : l’amour pour Dieu n’est pas un secteur de la vie, il ne se réduit pas à une vague croyance, à des services religieux, à des liturgies : il doit être total, engager toute l’existence. La foi, c’est donner sa vie à Dieu jusqu’à parfois en mourir.
-- « de toute ta pensée » : (dans le texte original du Deutéronome il est dit « de tout ton pouvoir »). Puisque notre amour pour Dieu est  réponse au sien, il ne se déploiera, ne croîtra, ne subsistera que si nous gardons mémoire des bienfaits que nous avons reçus et dont nous sommes comblés. La Bible exhorte sans cesse à « se souvenir », à faire mémoire (Deut 6, 12…) L’oubli de ce que Dieu fait pour nous entraîne la tiédeur, le laisser-aller.
Donc l’amour du Dieu UN pour l’homme le rend UN, l’unifie, guérit son déchirement, l’apaise, le comble. La foi est bonheur, rectitude lorsque l’homme, luttant contre ses péchés, poursuit son combat pour finaliser toutes ses facultés vers Dieu. Et cet élan sera encore plus fort lorsque le croyant apprend, par l’évangile, que ce YHWH est son Père à qui il peut s’adresser en toute confiance comme un fils bien-aimé.

Et le second lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

La réponse semblait suffire à la question (le grand commandement) mais voilà qu’elle se prolonge par un « second commandement » qui résonne comme la suite inséparable du premier. Cette fois Jésus recourt au « Code de Sainteté » du Lévitique qui est scandé par l’exhortation solennelle : « Soyez saints car je suis saint, moi YHWH, votre Dieu ». Cette sainteté est tout de suite précisée non par des pratiques religieuses (mystiques ou ascétiques ou miraculeuses) mais par l’amour du prochain et surtout du pauvre : « Tu abandonneras le coin de ton champ pour le pauvre …N’exploite pas ton prochain et ne le vole pas…Ne commets pas de jugements injustes…N’aie pas de pensée de haine contre ton frère ». Et qui se poursuit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév 19, 18). Le monothéisme inculqué par les prophètes est moral, éthique, il établit des relations justes entre les humains.
Déjà « la règle d’or » était soulignée dans le Sermon sur la montagne : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes » (7, 12).
Ici encore l’impératif de l’amour découle d’un indicatif : parce que tu as de l’amour pour toi, tu dois prodiguer la même mesure d’amour pour autrui. Ce qui d’ailleurs ne va pas sans poser un problème : est-ce que nous nous aimons vraiment ? « Il est plus facile qu’on ne croit de se haïr » disait le petit curé de campagne de G. Bernanos – ce que des psychanalystes confirment.
Nous sommes renvoyés au début, à l’amour immense de Dieu pour chacun d’entre nous : la foi c.à.d. la confiance en Dieu Père autorise à nous aimer nous-mêmes, sans suffisance, et du coup nous sommes portés à partager avec le prochain cette charité reçue à profusion.
Dieu t’aime – donc aime-le…donc tu peux t’aimer en vérité…et ainsi aimer ton prochain

De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Toute la Révélation divine est « suspendue » (traduction précise du verbe) à ces 2 commandements qui doivent donc susciter, provoquer, épanouir toute l’existence humaine. Liturgie, piété, actions n’ont sens que pour déployer les urgences de l’amour.
La relation verticale à Dieu « croise » la relation horizontale avec autrui ; foi et charité s’entraident, se réchauffent, se renforcent l’une l’autre en ce lieu de la croix où l’homme naît à son histoire. Saint Jean avait bien compris que le double commandement rayonnait à partir du Fils crucifié (1ère lettre 4, 7-12)
« Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres car l’amour vient de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu puisque Dieu est amour…Voici ce qu’est l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est Lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d’expiation pour nos péchés. Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. Dieu : personne ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour en nous est accompli »