34e dimanche ordinaire, année B (Christ Roi)

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Jn 18, 33-37

A la lecture de l'évangile de ce jour, une horrible question m'a traversé l'esprit : Jésus serait-il jésuite ? En effet, comme tout bon jésuite, à la question de Pilate : "es-tu le roi des Juifs", Jésus répond par une autre question : "Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d'autres te l'ont dit ?" Vous imaginez mon désarroi, en tant que dominicain. Me serais-je tromper d'Ordre. Heureusement pour moi, la suite du texte remets les pendules à l'heure. La devise de notre Ordre est "Veritas" : la vérité. Les frères précheurs sont donc en quête incessante de cette vérité et voilà que le Christ nous dit qu'il est venu rendre témoignage à la vérité et que tout être humain qui appartient à la vérité écoute ma voix. Jésus est donc un peu jésuite, un peu dominicain et c'est sans doute pour cela qu'il y a tant de diversité dans les congrégations et ordres religieux au sein de notre Eglise puisque tous à leur manière approche le mystère de la divinité du Fils.

Un Fils que nous reconnaissons comme Roi aujourd'hui. Cette fête du Christ-Roi me pose chaque année un problème de conscience. En effet, elle est née dans l'époque politique trouble des années vingt de ce siècle ce qui fait que dans l'obscurité de certaines consciences malveillantes, elle a servi et sert hélas encore toujours à justifier les excès de pouvoir des tyrans et des dictateurs et ce, au nom de la toute puissance et de la domination de Dieu. Nous pourrions alors décider de ne pas la célébrer. Je crois cependant qu'agir de la sorte serait dommageable non pas à la fête mais à ce qu'elle dénonce. Les hommes, et les femmes aussi d'ailleurs, ont depuis toujours compris la toute puissance de Dieu comme étant une toute puissance de contrôle, une toute puissance de domination, une toute puissance de maîtrise. Si Dieu est vraiment Dieu, il peut tout faire. C'est vrai mais il peut également décider de ne pas utiliser cette toute puissance de domination. Et je crois personnellement que c'est ce qu'il fait depuis qu'il a créé le monde. En nous créant, le Père a donné à ses enfants un outil merveilleux : la liberté. Et afin que nous puissions exercer cette dernière, il ne peut pas intervenir à son gré. Sa création est signe de sa décision de ne pas exercer sa domination comme telle. Avec Paul Beauchamp et André Wénin, deux exégètes contemporains, nous pouvons même aller plus loin encore. Non seulement, il n'exerce plus sa maîtrise mais en plus, nous avons mal compris sa toute puissance. Elle n'est pas une puissance de dominationn écrivent-ils. Elle est une puissance de douceur puisque rappelle le livre de la Genèse, Dieu achève son ½uvre en se reposant. Le repos de Dieu est son désir de maîtriser sa maîtrise, de dominer son pouvoir de domination. De là naît cette douceur signe de la toute puissance de Dieu. Si les dictateurs et tyrans du monde entiers pouvaient mieux lire les écritures, ils gouverneraient sans doute autrement.

Mais que signifie-t-elle cette douceur finalement ? La douceur pour naître à d'abord besoin de calme et de silence. Elle ne s'apprend pas puisqu'elle est la bonification de l'amour. Elle se développe sur le terrain du c½ur. La douceur humaine éclaircit l'être. Elle est comme une lumière de printemps éveillant la frondaison d'un sous-bois. Une lumière si finement diffuse et qui pourtant porte en elle toutes les espérances de sèves. La douceur existe bien à l'état latent en chacune et chacun de nous. Elle peut, si nous le souhaitons, se développer comme une flamme dans laquelle notre amour peut marcher libre. Elle n'est pas une qualité que l'on s'octroie mais un état qui s'offre au c½ur d'une rencontre en vérité. Cette douceur dont nous avons tant besoin est la grâce de l'âme et est silencieuse dans ses échos. Et lorsqu'elle s'exprime par des mots, elle le fait à voix de c½ur. Elle est tout simplement l'âme qui caresse et promulgue tous les bonheurs possibles. C'est pourquoi avec le poête nous pouvons chanter qu'un homme, une femme sans douceur est un peu comme une forêt sans oiseaux.

S'il en est véritablement ainsi, c'est-à-dire si la toute puissance de Dieu est bien une toute puissance de douceur qui nous est offerte à vivre en liberté dans la relation que nous établissons avec lui alors il y a vraiment lieu de célébrer la fête du Christ Roi. Notre Roi, le Christ, un roi doux empreint de tendresse, nous invite à partager le bonheur de son royaume. Un royaume d'amour. Un royaume de douceur. Pour en faire partie, c'est tout simple : mettons de la douceur dans nos relations ; celles-ci se transformeront et surtout nous transformeront pour donner à notre âme un peu de Dieu.

Amen.