34e dimanche ordinaire, année C (Christ Roi)

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2006-2007

Pilate rentra dans le prétoire, appela Jésus, et lui dit : Es-tu le roi des Juifs ? Jésus répondit : Est-ce de toi-même que tu dis cela, ou d'autres te l'ont-ils dit de moi ? Pilate répondit : Moi, suis-je Juif ? Ta nation et les principaux sacrificateurs t'ont livré à moi : qu'as-tu fait ? Mon royaume n'est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré aux Juifs ; mais maintenant mon royaume n'est point d'ici-bas. Pilate lui dit : Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.

Le lectionnaire ne nous dit pas la suite, mais quelqu'un d'entre nous sait-il ce que Pilate a répondu à Jésus ? Oui. Il a répondu : « Qu'est-ce que la vérité ? » L'entretien en est resté là et le silence de Jésus continue toujours, comme des points de suspension qui soulignent la question... parce que la vérité, n'est ni dans les idées ni dans les discours, la vérité est vivante. Et la vérité, c'était, devant Pilate, un homme quasi nu et enchaîné.

Le lectionnaire nous propose cet évangile parce qu'aujourd'hui nous fêtons le Christ Roi. C'est le dernier dimanche de l'année liturgique, nous allons bientôt entrer dans l'Avent et nous préparer à Noël. Mais que signifie fêter le Christ Roi ? Le mot « roi » convient-il vraiment ? Pourquoi pas Duce, Empereur, Tsar, Généralissime ou Président à vie ? Tous les mots que nous avons, quand ils sont appliqués à Dieu, se révèlent piégés, faussés, inadéquats. On parle du Tout Puissant mais son Fils naît sur la paille et meurt sur une croix. Aujourd'hui nous le disons roi, mais l'évangile le montre prisonnier, bientôt exécuté. Pour un succès médiatique, il faudrait s'y prendre autrement !

Et pourtant c'est un titre que Jésus s'attribue et il y a de fait quelque chose d'étonnamment souverain en lui, une dignité royale, une incroyable liberté. Il est pleinement lui-même et ne suit aucune mode. Il respire la vie et la vérité, dans un esprit contagieux de fraternité. Ce qui est exceptionnel chez lui, c'est l'absence radicale du souci de s'imposer, la renonciation totale au contrôle ou à l'oppression. Son Royaume n'est pas de ce monde là. Il n'a rien à vendre, rien à prouver. Régner sur des nuques inclinées ne l'intéresse pas. Il veut être accueilli librement dans les c½urs, dans la confiance et dans la paix, en libérant la parole et la réflexion.

Notre situation de chrétiens minoritaires nous aide enfin à sortir d'une chrétienté dominante pour découvrir une nouvelle manière d'exister. Nous pouvons vivre notre foi, à la manière de Jésus, comme une proposition d'amitié, sans aucune pression, dans une religion non pas de contrainte mais d'appel, non pas de soumission mais de liberté, non pas de répétition comme les intégristes mais de créativité. « Comprenne qui pourra, me suive qui voudra », nous dit Jésus. « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis ». Notre Dieu ne cherche pas des esclaves mais des partenaires, des vis-à-vis.

Pour inaugurer ce Royaume, Jésus part donc à la conquête de l'humanité. Quelle conquête ? Le mot est à comprendre, ici encore, de manière transfigurée. Il s'agit de conquérir les c½urs, et donc d'abattre les murs, les frontières, les remparts, de nous faire « craquer ». « L'homme ne cède, écrivait Maxime le Confesseur, que sous le poids de l'extrême humiliation de Dieu ». Sur ce chemin et dans cette logique complètement folle, Jésus va jusqu'au bout. Son attitude est désarmante. Un désarmement qui n'a rien à voir avec les forces de sécurité de l'ONU. Il est désarmant parce qu'il est désarmé. Rien de tel pour désamorcer l'agressivité que la pauvreté et la vulnérabilité. Il se présente dans une pauvreté totale et une vulnérabilité absolue. « C'est dans la faiblesse que se manifeste la puissance de Dieu ».

De son plein gré, Jésus se livre entre nos mains, pieds et mains liés. Ce qu'il vit physiquement exprime ce qu'il vit de tout son être, moralement, intellectuellement, spirituellement. Il se livre, corps et âme, tout entier. Il se fait objet pour nous : objet de discussion, objet de dérision, mais aussi sujet d'admiration. Il se livre à notre appréciation, il se confie à notre fidélité. Il s'agit bien d'un abandon nuptial « fais de moi ce qu'il te plaira ! » Il faut, écrit Emmanuel Lévinas, perdre l'initiative pour avoir la révélation de l'autre. « Aimer, c'est dans l'abandon de tout abri, s'exposer, se vouer, se soumettre, c'est atteindre le point extrême où l'on n'est plus Seigneur et Maître. »

En fait tout est ici paradoxal et renversant. Nous le percevons dans notre expérience quotidienne : il faut être vraiment sûr de soi pour prendre des risques importants. Il faut être riche, pour choisir de se dépouiller complètement. Il faut être puissant psychologiquement pour abandonner toute situation de domination. Moïse était de la famille de Pharaon avant de prendre le parti des hébreux. François d'Assise était fils d'un drapier avant de choisir la pauvreté. Peut-être faut-il n'avoir jamais manqué de rien pour choisir la pauvreté volontaire ? Jésus, qui était de condition divine, nous dit saint Paul, ne s'est pas crispé sur ses privilèges divins, mais il s'est abaissé. Il a démissionné, abdiqué, renoncé à tout ce qu'il avait, pour vivre comme un homme, un homme du commun ; plus encore, jusqu'à mourir comme un condamné à mort. Et Dieu l'a justifié, lui a donné raison, l'a mis au plus haut. Pour que tout le monde proclame qu'il est Seigneur et roi.

Jésus ne veut pas être un potentat. Il n'accepte d'être notre roi que si nous le voulons, si nous l'aimons, si nous le recherchons, si nous obéissons à son commandement de nous aimer comme il nous a aimés. Tout comme Dieu est le Dieu de Jésus non pas parce qu'il s'impose à lui, mais parce que celui-ci le reconnaît comme Père dans une confiance réciproque et constitutive.

Quand Jésus est arrêté, il ne se défend pas, pas même verbalement. Ce qu'il avait à dire, il l'a dit. Au grand prêtre qui lui fait subir un interrogatoire, il répond simplement : « Pourquoi m'interroges-tu ? Demande à ceux qui ont entendu ce que je leur ai enseigné ; eux, ils savent ce que j'ai dit » (Jn 18, 21). Ces simples mots manifestent la portée de notre responsabilité. Jésus s'en remet à nous pour communiquer son message et tout ce qu'il est.

A nous de jouer, maintenant ! A notre tour de témoigner ensemble. Nous avons toute liberté de man½uvre et d'action. Jésus nous donne tout et son Esprit nous communique force et inspiration. Si le succès n'est pas immédiat, ne nous inquiétons pas, souvenons-nous de tout ce que Jésus a connu de mépris.

« Qu'est ce que la vérité ? » La vérité est que Dieu nous aime par delà tout ce que nous sommes capables d'imaginer, qu'il veut faire de nous ses amis, libres, debout, courageux, dignes et souverains : fils de Dieu comme Jésus est Fils de Dieu, prêtres, prophètes et rois, comme Jésus est roi.

Oublions le triomphalisme passé. Je termine en posant la question : Qui acceptera d'être roi, à la manière de Jésus ?