Jésus trouva installés dans le Temple les marchands de boeufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple ainsi que leurs brebis et leurs boeufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs [et] renversa leurs comptoirs. C'est une des scènes les plus difficiles de l'évangile . Il y a des scènes choquantes dans l'évangile, notamment les scènes de la Passion, où nous sommes confrontés à une violence et à une cruauté indicibles. Mais nous sommes malheureusement habitués à la violence humaine. Nous savons bien que nous, les être humains, sommes capables de violence et de cruauté. Mais la violence de Jésus, c'est autre chose. Jésus n'est pas censé être comme nous, mais meilleur que nous. Il nous enseigne l'importance capitale de l'amour, de la patience, du pardon, de ne pas se rebiffer contre les injustes et les violents. Il nous dit : « Venez à moi... Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur » (Mt 11:28-29). Et c'est pourquoi cette scène de la purification du Temple est choquante. Qu'est devenue la douceur de Jésus ? Jean nous dit que les disciples, en voyant ce que faisait Jésus, se sont rappelés le verset du psaume 68 : « L'amour de ta maison fera mon tourment ». Mais même si Jésus a fait ce qu'il a fait par amour de la maison de Dieu, est-ce que cela justifie sa violence ? Comment Jésus peut-il agir violemment tout en nous disant de renoncer à la violence ? Il y a une contradiction, semble-t-il. Peut-il rester notre modèle ?
Si ceci est notre question, ce n'était pas la question la plus évidente pour les gens de l'époque. Nous trouvons cette scène dans tous les quatres évangiles. Il ne semble donc pas qu'elle soit gênante pour l'église primitive. Et les Juifs qui étaient là n'ont pas réagi en déplorant la violence de Jésus ou en lui rapprochant la contradiction entre son enseignement et sa conduite. Ils lui disent : « Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? » Pour eux, ce qui justifierait ce geste de Jésus n'est pas une explication, mais un signe. Le signe qu'il faut est un miracle, ou quelque chose qui montre que Jésus a une autorité divine. Cela montrerait que sa violence vient, elle aussi, de Dieu. C'est-à-dire que pour eux l'intérêt de ce geste de Jésus est la possibilité que par son biais Dieu leur parle. Pour eux, le geste de Jésus est peut-être un geste, une parole, un signe de Dieu. Et Jésus leur parle du signe de la résurrection. « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai » ; et le temple dont il parlait, nous dit Jean, était son corps. Quand Jésus ressuscitera, ils comprendront ce que signifie son action, et ils sauront que Dieu est dedans.
Jésus, en mettant dehors tous les marchands, voulait en fait accomplir une prophétie du prophète Zacharie, dans le tout- dernier verset du livre de Zacharie, où le prophète parle du jour de la grande bataille où Dieu lui-même va apparaître. En ce jour-là, le temple et tout ce qu'il y a dedans sera saint, consacré à Dieu ; et en ce jour-là, dit-il, « il n'y aura plus de marchand dans la maison du Seigneur le tout-puissant » (Za 14:21). En purifiant le temple, Jésus dit que cette prophétie s'accomplit, que c'est la fin, que Dieu lui-même est là. Et c'est la résurrection, quand le temple son corps sera relevé, qui montrera que Dieu est présent en lui, et que c'est son corps qui est le vrai temple, la véritable demeure de l'esprit de Dieu.
Si la violence de son geste reste quand-même choquante pour nous, il faut dire que la violence est parfois nécessaire quand il s'agit d'un signe spirituel, un signe qui concerne ce qui est fondamental dans la vie humaine. Le but d'un signe est d'ouvrir nos yeux à quelque chose que nous ne voyons pas. Parfois, nous ne voyons pas parce que, pour le moment, nous faisons attention à quelque chose d'autre, et il suffit de nous rappeler doucement l'essentiel. Mais, parfois, nous ne voyons pas parce que nous sommes endormis, ou parce que nous sommes totalement pris par inessentiel et immergés dedans. Dans le temple, ç'aurait été une rencontre inutile si Jésus avait dit doucement aux marchands : « Messieurs, auriez-vous peut-être la gentillesse de mettre vos brebis ailleurs ? » Il fallait un geste dramatique, même violent et choquant, qui arrache leur attention et celle des autres Juifs, qui la retire de leur commerce bien-aimé, pour leur rappeler que Dieu est plus important que le commerce. De même, dans notre vie, un rappel doux n'est pas toujours suffisant ; souvent, une lecture biblique, une homélie, ne nous impressionne pas, nous le savons tous. Il faut que Dieu nous parle parfois par le biais d'un choc qui nous rende attentifs à l'essentiel. Si nous nous endormons, il nous faut être secoués pour être éveillés. C'est pourquoi, quelquefois et avec un peu de recul, nous pouvons voir la main de Dieu même dans un événement de notre vie qui nous choque ou qui nous fait mal.