Ce que je vais exprimer ce soir n'est peut-être pas très théologique et fera peut-être bondir Philippe. Mais tant pis, c'est ce que je ressens et je vais le livrer tel quel. Chacun de nous a déjà connu des moments de vrai bonheur. Des moments où on se sent vraiment bien avec soi-même, où on chante tout seul, très fort, au volant de sa voiture, dans sa chambre ou devant un beau paysage. Je crois que ce bonheur qui nous habite à ces moments-là ne vient pas de nous-mêmes et ne vient pas tout seul. Sa source n'est pas biologique. Je crois que l'origine de ce bonheur est chaque fois dans une relation privilégiée, que ce soit avec quelqu'un qu'on aime, avec soi-même ou avec Dieu. Je crois en cette relation privilégiée au cours de laquelle l'autre devient tellement important pour moi, qu'il prend de la place en moi, qu'il m'habite.
J'ai envie de dire que ce bonheur, cette énergie-là, non seulement vient de Dieu, mais est déjà un peu Dieu en nous. Je crois vraiment que nous avons Dieu en nous mais que nous restons libres et que c'est notre responsabilité de Le faire vivre au coeur de nos relations. Un peu comme si nous avions en nous un merveilleux moteur mais que notre liberté reste de choisir son carburant et d'employer l'accélérateur.
Je crois que Jésus c'est un peu cela aussi. C'est un homme comme nous mais tellement rempli, envahi par Dieu qu'il est Dieu lui-même.
J'oserais presque dire que pour moi, l'homme Jésus c'est un peu l'emballage ou l'habillage de Dieu, que cet homme nous a été envoyé pour que Dieu soit visible, compréhensible, sensible, je dirais même palpable.
Et si cette passion et mort de Jésus que nous allons célébrer bientôt n'était que la déchirure de cet emballage, de cette enveloppe pour libérer et nous laisser cette extraordinaire énergie, cette force d'aimer avec pour liberté et mission de l'employer ?
Je crois que Pâques ou la Résurrection c'est aussi cela. Je vous dis tout cela parce que depuis tout juste un an, je me pose beaucoup de questions sur la mort, la séparation, sur la vie après la vie, sur ce qui reste du disparu. J'ai lu et entendu de beaux textes : " qu'il est là en face, sur l'autre rive...que sa voile est là-bas, tout près dans la brume...qu'il est tout près de nous, juste dans la pièce d'à côté...etc.. " Ces textes sont beaux mais ne rencontrent pas vraiment ce que j'ai vécu et vis maintenant.
Dans une vie de couple, beaucoup de temps se passe à la gestion du quotidien, au train-train journalier. J'ai eu parfois l'impression de manquer d'air, et je sais que c'était dans les deux sens. Plus d'une fois, lors de moments de relation plus difficile, j'ai rêvé de tout ce que je pourrais faire si j'étais seul et indépendant. Et maintenant que je suis seul, je ne suis pas indépendant, je ne me sens pas du tout libéré d'une attache ou de contraintes mais je me sens enrichi d'autre chose. Je sens vraiment en moi autre chose, une énergie nouvelle. l'approche de la semaine Sainte et de Pâques m'éclaire et me donne l'occasion d'y réfléchir.
Je crois vraiment que l'homme comme Jésus est créé à l'image de Dieu. Et comme pour Jésus après la mort d'un être cher on ne vit pas de son souvenir mais de ce qu'il nous laisse. Les souvenirs sont ancrés dans notre mémoire, ils font partie de notre histoire mais ils se réfèrent à notre passé. C'est notre album de photos ou notre montage vidéo. Les souvenirs nous font rire ou pleurer mais ils ne nous font pas vraiment vivre.
Après la mort de Marie-Noëlle, ce qui continue à me faire vivre, et même plus fort qu'avant, c'est toute cette énergie, cette force d'aimer qui l'habitait et que la mort de son corps a libérée. Cette force d'aimer n'est pas partie avec elle, bien au contraire. C'est un merveilleux cadeau qu'elle nous a laissé et transmis en héritage. Je crois que c'est déjà un peu sa résurrection ou sa vie qui continue en moi. c'est aussi sa participation à la résurrection de Jésus.
Pâques n'est pas la célébration d'un souvenir. c'est aussi nous rappeler que nous avons en nous un héritage et en sommes responsables et que mourir peut être transmettre la vie, la vraie Vie.
C'est la fin de l'hiver, les brouillards s'estompent. Déjà sortent les jonquilles et fleurissent les forsythias. C'est bientôt Pâques. Pourquoi ne pas y croire ?