Un jour, une bénédictine de Liège va se faire couper les cheveux. Au moment de payer, le coiffeur lui annonce qu’il ne fait jamais payer les religieuses. Elle le remercie et rentre au monastère. Le lendemain matin, le coiffeur trouve devant sa porte un panier rempli de biscuits cuits dans les caves du monastère. Quelques jours plus tard, un frère dominicain va se faire couper les cheveux chez le même coiffeur, qui lui dit aussi qu’il ne demande jamais d’argent aux religieux. Le coiffeur reçoit le lendemain deux caisses de Sanctus Dominicus. Voilà maintenant qu’un père jésuite se rend chez ce coiffeur. Ce dernier lui dit comme aux autres qu’il n’accepte pas d’argent de religieux. Quand, le matin suivant, il ouvre son salon, il découvre toute la communauté jésuite qui est là à attendre son tour pour se faire coiffer. Cette blague quelque peu remaniée à la sauce liégeoise est proposée dans un livre qui vient de paraître aux éditions Fidélité et qui s’intitule « Moquez-vous des jésuites : humour et spiritualité » et qui a été écrit par Nikolaas Sintobin, lui-même jésuite belge. Si je me suis permis de vous la raconter, c’est parce qu’elle nous rappelle que l’humour ne cherche pas à blesser mais plutôt à pouvoir rire de soi d’abord. Telle est sa force. En d’autres termes, l’humour doit toujours veiller à être bienveillant. Comme nous avons à l’être dans nos propres vies. La bienveillance nous permet d’entrer dans une relation non pas de fusion qui conduirait à de la confusion mais plutôt d’union à l’image de celle qui unit le Père et le Fils, comme Jésus le souligne dans l’évangile que nous venons d’entendre. L’union que nous sommes à notre tour appelés à vivre entre nous et avec le Père dans le Fils et par l’Esprit se construit sur une bienveillance réciproque puisque celle-ci est une dynamique de vie à partager. En effet, « bienveiller » est le propre de celui qui se sent responsable d’autrui qu’il soit un proche ou un être aimé. Est-il besoin de rappeler que les postures du bienveilleur et du bienveillé ne sont pas toujours simples. Tous deux se trouvent dans une situation de grande fragilité car aucun des deux ne sait ce qui va se produire. De part et d’autre, lorsque nous bienveillons, nous attendons, nous laissons le temps au temps. N’est-ce pas le propre de la bienveillance ? L’expérience de la vie peut évidemment nous accompagner dans celle-ci mais il peut également nous arriver d’être désarçonnés, déstabilisés. Dans certaines situations, nous ne nous sentons plus maître de ce qui nous arrive. Nous sommes dépassés, voire peut-être même écrasés car nous ne pouvons plus mettre des mots sur ce que nous traversons. Il nous faut alors ensemble prendre le temps du recul pour poser à nouveau un regard de bienveillance en cherchant à donner sens à ce qui au départ pouvait nous paraître tellement insensé. Et ce regard nous sommes conviés à le tourner vers un présent éternel, c’est-à-dire, pour reprendre les mots de Lytta Basset : « ce qui reste pour toujours en nous quand une fois, une seule fois peut-être, nous avons été visités par la Bienveillance ». La bienveillance se nourrit ainsi de l’espérance qui s’émerveille des avancées de la vie au plus intime de l’être humain. Elle « accompagne un processus irréversible, au rythme des saisons de chacun » (L. Basset). Nous assistons ainsi à la mise à la Vie d’une tendresse bienveillante qui prend sa source dans le cœur de celui qui la donne. Elle réchauffe l’être bienveillé de la lumière de l’âme pure du bienveilleur qui le pousse à mieux se regarder, à se déplacer vers davantage de vérité, à entrevoir une nouvelle espérance de vie au cœur de ses propres blessures. La tendresse bienveillante se marque par un timbre de voix qui ne condamne pas mais qui cherche toujours à relever le bienveillé. Elle se laisse découvrir dans un regard empreint d’empathie, voire de compassion qui se pose tendrement sur l’être accompagné. Elle s’exprime dans la douceur d’une caresse qui fait à nouveau exister. La tendresse bienveillante est donc d’ordre vital et divin. C’est pourquoi, en ce temps de Pâques, nous sommes toutes et tous invités à conjuguer à foison ce verbe « bienveiller ». Car c’est en bienveillant que nous permettons à la tendresse de se vivre. Cette dernière est le fruit de cette douceur divine qui fait que nous ne serons jamais arrachés tant de la main de l’être aimé que de celle du Père. Amen
4ème dimanche de Pâques
- Auteur: Philippe Cochinaux
- Date de rédaction: 17/04/16
- Temps liturgique: Temps de Pâques
- Année liturgique : C
- Année: 2015-2016
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