Souvenez-vous... lorsque vous aviez à peine quelques mois !
Vous --comme moi d'ailleurs-- avez traversé ce que certains psychanalystes appellent le «stade du miroir». Il s'agit d'un moment dans l'évolution psychique de tout enfant qui veut que lorsqu'il est placé devant un miroir, il identifie progressivement son corps et prends ainsi conscience de lui-même. Il prends conscience de qui il est par le fait d'être renvoyé à lui-même. L'enfant quitte la simple perception immédiate, pour découvrir la représentation du monde, sa représentation.
Comme vous ne vous souvenez probablement pas de cette période de votre enfance, prenons un exemple pour vous expliquer ce concept. Imaginez un petit enfant --prenons le frère Dominique Collin, derrière moi-- et placez le devant un miroir pour qu'il se regarde. Normalement, il devrait éclater de rire. Faites maintenant cette expérience: si vous lui mettez un peu de rouge à lèvres sur le nez, sa réaction vous montrera où il en est par rapport à son développement psychique est ses rapports aux autres! Avant le «stade du miroir», un enfant touche le miroir pour essayer d'effacer la trace rouge sur son nez. Mais après 18 mois environ, l'enfant commence enfin à essuyer son propre nez ! Quoi qu'il en soit, il faut du temps à un enfant pour découvrir que son regard ne fait pas que percevoir, mais interprète aussi le monde qui l'entoure.
Peu importe qu'on soit d'accord avec ces théories psychanalytiques, le fond reste le même ! Nous avons toutes et tous dans nos vies des personnes et des situations miroirs, qui nous révèlent à nous-mêmes et nous disent «où es-tu?». Et Jésus, dans la page d'évangile que nous venons de lire fait subir aux scribes et aux maîtres de la loi ce que je serais tenté d'appeler 'le test du miroir'. Les pharisiens veulent se confronter aux autres, ils veulent confronter Jésus à la loi. Mais Jésus les confronte... à eux-mêmes.
Bien plus, voulant le mettre à l'épreuve, les pharisiens sont eux-mêmes mis à l'épreuve. Voulant accuser, ils sont renvoyés eux-mêmes devant leur propre chef d'accusation. «Dis moi ce que tu accuses aux autres, et je te dirai de quel contradiction tu souffres.» Accuser l'autre, c'est bien souvent s'accuser soi-même de manière déguisée, lui faire supporter ce qu'on n'est pas capable de porter... Quand on pointe l'index vers quelqu'un, on ne voit pas que trois autres doigts sont dirigés vers soi...
Les pharisiens, accusant d'adultère, sont donc pris en flagrant délit... d'adultère, car l'adultère est le fait de tromper quelqu'un avec lequel on est officiellement lié, comme ces pharisiens qui trompent la loi qu'ils sont tenus de suivre!
Bien souvent, c'est le groupe qui accuse, alors que la singularité libère. Et le texte d'évangile nous confronte à cette réalité toute humaine. Si les pharisiens, eux, amènent «une» femme, et invoquent que Moïse à ordonné de lapider «ces femmes-là» ! Ils enferment l'individu dans un groupe, dans une catégorie, derrière des étiquettes réductrices, qui ne peuvent qu'accuser !
Le jeu de Jésus est tout autre ! Loin d'accuser, il libère tant les pharisiens que la femme accusée, en les renvoyant face à eux-mêmes, comme un miroir !
En disant «que celui de vous qui est sans pêché jette la première pierre », il pointe le doigt sur chacun empêchant ainsi toute protection, tout repli derrière le groupe.
A chacune et chacun d'entre nous de répondre pour soi à la question qui nous est adressée personnellement: «Où es-tu?», écho de ce «humain, où es-tu?» que Dieu murmure dans notre jardin intérieur. Cette question --comme un miroir-- nous est encore une fois posée aujourd'hui. Lire cette question comme une accusation, c'est s'accuser soi-même ! Mais cette question se veut précisément libérante de ce qui nous empêche d'être nous-mêmes ! Le Christ nous la pose pour que nous la posions à nous-mêmes et pas aux autres.
Aujourd'hui donc, par un subtil jeu de miroir, le Christ nous renvoie à nous- mêmes pour prendre conscience de qui nous sommes. Les pharisiens sont arrivés en groupe, ils sont repartis un par un. La femme est arrivée dans un groupe, derrière une étiquette, elle repart seule, relevée.
Mais le Christ nous amène plus loin à qu'à notre propre image. Que nous soyons accusateurs ou accusés, protégé par le groupe ou en marge de celui-ci, le Christ, l'icône de Dieu, nous renvoie à cette humanité destinée à toujours grandir, miroir et image d'un Dieu qui dessine l'humain sur la poussière.
Un doigt pointé vers l'autre accuse.
Mais le doigt de Jésus sur le sol nous libère par un écrit ?sur la poussière du temple de notre humanité. Amen.
5e dimanche de Carême, année C
- Auteur: Croonenberghs Didier
- Temps liturgique: Temps du Carême
- Année liturgique : C
- Année: 2009-2010