5e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2004-2005

Sur l'étagère, à côté de la série des petits récipients d'aromates, un gros pot étiqueté : SEL. Banal parce partout.. . . Mais plus qu'utile : indispensable.

Dans ce pot, des petits cristaux durs, tranquilles à l'abri du verre, à l'aise les uns avec les autres puisque tous semblables.

Soudain la tempête : maman a saisi la salière, elle la retourne, la secoue avec vigueur. A l'intérieur, c'est la panique, tout est sens dessus-dessous ; inexorablement emportés, les grains filent à travers les petits orifices du couvercle et chutent dans la pâte que maman pétrit et au sein de laquelle ils disparaissent.

Mystère du sel : il est ce par quoi les produits deviennent comestibles, ce qui fera de la pâte un pain délectable. Du sel dépend la vie.

J'imagine le petit garçon Jésus regardant sa maman en train de préparer la galette de pain dans la petite maison de Nazareth. Et lorsqu'il croquait le coin du pain tout chaud qu'elle lui tendait, ses yeux pétillaient de joie : " Que c'est bon, maman". Bien plus tard, il se souviendra de cette scène. Et il déclarera au petit peuple de Galilée :

" Vous êtes le sel de la terre ..."

Voyez : avec moi, le Règne de Dieu s'est approché. Oui, vous pouvez laisser Dieu régner sur vos vies...si vous vous convertissez. Comme la salière, laissez-vous retourner complètement et acceptez les secousses car mon Evangile est bouleversant.

Vous êtes...

Qui sont ces "vous" ? Non les apôtres, les prêtres, les spécialistes. Mais ceux que Jésus vient d'énumérer, juste avant, dans la liste des huit béatitudes : les pauvres de c½ur et les doux, les affamés de Dieu et les purs, les artisans de paix et les persécutés. Le Royaume leur est ouvert. " Vous êtes" : au présent, donc ici, tout de suite. Et pas au premier chef par vos ½uvres, vos théologies, vos constructions. Mais par vos personnes béatifiées par ma Parole.

...le sel ...

C'est le monde à l'envers puisque d'autres tentent de vous convaincre que le bonheur réside dans l'accumulation des biens, le confort, les voyages, la force, l'affirmation de soi. Et vous vous laissez prendre à la publicité mensongère de ces malins qui veulent donner "du piment à la vie", comme ils disent ! S'ils disaient vrai, le suicide ne serait pas la première cause de mortalité des jeunes Occidentaux de 20 ans ! Ils ont tout, mais ils ne savent guère qui ils sont ni où ils vont.... Personne ne leur a révélé le sens de leur vie

C'est pourquoi, mes disciples, ne demeurez pas au chaud dans votre bocal étiqueté "catholique" où vous vous sentez bien parce que les autres partagent vos croyances et vos opinions.. Pourquoi n'avez-vous de cesse de créer des institutions pour vous tenir à l'abri ? Vous prétendez protéger vos jeunes plants : les fleurs de serre s'étiolent, emportées par le grand vent de l'histoire. C'est en s'exposant que l'Evangile prend racine. Après tout Jésus a eu beaucoup de "mauvaises fréquentations" ! C'est bien pour rencontrer ces personnes qu'il est venu ! Votre foi est-elle à ce point vulnérable, fragile que vous cherchez à tout prix à la mettre à l'abri des orages ? Ne savez-vous pas que "celui qui veut gagner sa vie la perdra...Et que celui qui perdra sa vie à cause du Christ la sauvera " ?..

... de la terre ...

A travers tous les continents, dans tous les peuples, et jusqu'à la fin des temps, vous donnerez sens au monde. Vous êtes l'univers-sel. ( sens du mot "catholique") Alors pourquoi craindre d'être minoritaire ? Pourquoi ce désir d'une "Belgique catholique", d'une "France fille aînée de l'Eglise", d'une Europe chrétienne" ? Jésus a-t-il jamais visé à convertir une ville, une région, un pays ??? Quelques grains de sel suffisent bien - trop provoque de l'hypertension

Si le sel se dénature, comment redeviendra-t-il du sel ? il n'est plus bon à rien : on le jette dehors et les gens le piétinent.

On s'attendrait à ce que Jésus nous mette en garde contre ceux qui s'opposent à l'Evangile et veulent contrecarrer son action. Au contraire il prévient ses disciples que le danger est en eux. Pour le chrétien, le pire n'est pas la menace extérieure, même mortelle, mais l'affadissement. On veut redevenir "comme les autres".On croit mieux faire en devenant du sucre, de la guimauve, du miel. Ec½urant....

A la communauté de Laodicée, le Christ Seigneur ose dire :" Je sais tes ½uvres : tu n'es ni froid ni bouillant. Que n'es-tu froid ou bouillant ! Mais parce tu es tiède, je vais te vomir de ma bouche" ( Apoc. 3, 15)

Dans les années 30, devant la terrible menace de la Bête qui grandissait à l'horizon de l'Europe, les Eglises n'ont pas fauté par pénurie d'effectifs, de maisons, de cérémonies, de piété... mais par manque de courage, par oubli de ce qu'elles étaient.

Le jeune François d'Assise renonçant à la richesse paternelle, le petit Damien débarquant seul parmi les lépreux de Molokaï, Mme la professeur Emmanuel rejoignant les chiffonniers du Caire. Mais aussi tant et tant, jeunes et vieux, luttant, seuls, au jour le jour dans le milieu des affaires, des sciences ou de l'enseignement. Chacun(e) est un grain de sel perdu dans l'immensité. Ils ne brandissent pas des programmes mirobolants, ne claironnent pas une future révolution. Mais près d'eux, la vie prend goût.

Comme un bon pain dans lequel on mord à pleines dents.