Un confrère dominicain prêchait l'année passée à l'occasion de cette fête de l'Ascension en disant que le Père du Ciel n'avait plus le choix. Il ne pouvait que reprendre son « gamin » auprès de Lui, car le fait qu'il soit ressuscité posait déjà assez de questions comme cela. Retourner auprès du Père était le cours normal des choses. Un peu facile comme explication me semble-t-il. S'il est vrai que la résurrection est avant tout un acte de foi, je crois pouvoir dire qu'il en va de même pour l'Ascension. Nous sommes en droit de nous questionner sur le sens d'un tel événement. La prédication de mon confrère religieux ne m'ayant pas tout à fait convaincu, je confesse que, sur les conseils de Lucie Struyf, membre de l'Equipe pastorale, je suis allé voir du côté de nos concurrents : les jésuites. Et je dois bien admettre, à regret il va sans dire, que le père François Varillon, membre de la Société de Jésus peut sans doute nous éclairer dans la compréhension de ce mystère.
Jésus se devait de monter au « ciel », écrit-il, non pas le « ciel » au-dessus des nuages, mais ce ciel qui est la rencontre intime de Dieu et de l'homme, le contact de l'être de l'homme avec l'être de Dieu. Ou pour être plus précis encore, le ciel, vécu comme avenir de l'homme, avenir de l'humanité. Et l'Ascension en est le signe visible. Elle est la fête qui inaugure cet instant, qui fait exister ce Ciel. Et ce, à partir d'un départ. Or bien souvent les départs, surtout quand on aime, sont douloureux. C'est ce que les apôtres ont du vivre. Pourtant, constate un des auteurs favoris de mon adolescence, « lorsque vous vous séparez de votre ami, vous ne vous affligez pas ; car ce que vous aimez le plus en lui peut être clair en son absence, de même que pour l'ascensionniste la montagne est plus nette vue de la plaine ».
Le départ de Jésus vers les cieux ne signifie pas la fin d'une histoire mais plutôt le début de l'éternité, de notre éternité. Si Jésus n'était pas « monté » au ciel, il serait encore parmi nous, au milieu de nous, pire, extérieur à nous, comme je vous suis extérieur et comme vous m'êtes extérieurs. Son départ symbolise dès lors un nouveau mode de présence, non plus une présence proche, visible et à nos côtés mais plutôt une présence à la fois tout intérieure, universelle, hors frontière et hors du temps. Une vraie présence, vécue sur le mode de l'absence, un peu comme lorsque nous vivons un deuil, ce temps nécessaire pour que l'être disparu vive à jamais en nous.
Dieu, Père, avait sans doute compris que s'il laissait son Fils sur terre, nous autres, humains, nous nous serions sans doute infantiliser, nous aurions régresser puisqu'à chaque décision à prendre nous aurions pu l'interroger pour qu'il nous dise la bonne voie à prendre. Il n'aurait pas pu se tromper puisqu'il est Dieu... Notre vie sur terre serait plus facile à vivre mais à l'inverse, nous n'aurions plus été responsables de nos destinées. J'espère que Dieu refusera toujours d'écrire lui-même notre histoire. Je ne crois pas que Dieu ait véritablement un projet sur l'homme, par contre je suis convaincu que l'homme est le projet de Dieu. Voilà toute la différence. Dieu nous veut hommes et femmes, adultes responsables, construisant nous-mêmes notre histoire. Nous sommes des êtres reçus et en devenir. Le départ du Christ, son Ascension, est donc essentiellement de sa part le respect de notre liberté. Une liberté qui nous permet de construire notre avenir. Jésus nous a laissé un message, une tâche à accomplir. Nous avons un coeur et une intelligence, à nous de les utiliser dorénavant au service de notre humanité. C'est à nous qu'il appartient, en pleine responsabilité, de prendre les décisions qui conviennent pour l'avènement d'un monde plus humain, plus juste. Nous n'avons pas d'inquiétude à avoir, le Christ reste bien présent dans chacune de ces décisions humanisantes pour leur donner une dimension divine. En d'autres termes, nous pouvons dire, avec Varillon, que le Christ divinise ce que nous humanisons. Nous sommes liés à lui de la sorte dans cette intimité de Dieu que nous appelons Ciel.
Par son Ascension, le Christ s'en est allé et pourtant, c'est ainsi qu'il nous est le plus profondément présent. Comme le dit si bien Claudel, « il faut que je vous soustraie mon visage, pour que vous ayez mon âme ». Dorénavant nous vivons dans cette intimité divine, réconforté par la présence de l'Homme-Dieu. Que cet acte de foi, nous permette de vivre et d'agir en conséquence pour que la terre que nous laisserons aux générations futures soit plus humaine.
Amen.