Lors des conférences Resurrexit données dans cette église ces derniers mardis, les frères Philippe et Dominique nous rappelaient cette évidence qu’il y a dans la vie deux certitudes. Celle qui veut que nous sommes nés, et celle qui veut que nous allons mourir.
Et il est vrai qu’il y a deux types d’épreuves fondamentales. Ce qui commence, é-clot, et ce qui se clôt, se termine et s’achève. Lorsqu’une histoire commence —qu’elle soit affective, professionnelle, familiale— il faut toujours s’adapter, il faut découvrir, accueillir ce qui vient. Mais lorsqu’une histoire s’achève, les choses ne sont pas plus évidentes.
Comme s’il y avait deux épreuves cruciales, existentielles : ce qui se commence et ce qui s’achève. Naître, c’est commencer à vivre, apparaître au monde. Mais vivre, c’est aussi apprendre à mourir, à s’effacer, à se retirer.
Et nous voici aujourd’hui devant une fin, comme une épreuve qui vient nous prouver comme chrétiens : les dernières lignes de l’Evangile de Marc. Peu importe si certains biblistes vous diront qu’il s’agit d’un ajout à la finale de Marc, nous sommes aujourd’hui en présence d’une histoire qui se termine, certes, mais comme un point d’orgue : à nous maintenant de maintenir vivant, de garder la tonalité de l’Evangile.
Le départ de Jésus —ce qu’on appelle symboliquement l’ascension— est une invitation à apprivoiser la vie, la nôtre. Vivre de manière responsable comme témoin de l’évangile, et non sous la dictée d’un Dieu qui interviendrait dans le monde. L’Ascension de Jésus nous donne bien une mission : être témoins du ressuscité en pleine liberté, par des gestes simples de bienveillance. Par l’événement de l’Ascensions, le Fils s'efface de notre monde pour nous laisser un nouvel espace, une réelle mission. Et il nous laisse les mains libres dans « une absence pleine de la présence de l'Esprit ». Le Christ s’invite ainsi en chacune et chacun de nous pour que nous conduisions plus librement encore nos vies.
Pour que nous prenions aussi un peu de recul… par rapport à nous-mêmes. Pour que nous devenions des être ascensionnels !
Pour être ascensionnel, il faut prendre de la hauteur sur sa vie.
Il s’agit de discerner l’essentiel, apprendre à lâcher prise, accepter de ne pas tout contrôler. Il est des moments de grâce dans la vie où le retrait, l'effacement nous permettent d’apprécier qui nous sommes, ce qui l'essence de notre existence. Cela nous demandera peut-être de la patience et d’accepter de passer à autre chose dans notre propre chemin.
Pour être ascensionnel, il ne s'agit donc en rien de se nier, de s’effacer, mais voir dans notre histoire —et celle de ceux qui nous entourent— les signes d’un relèvement toujours possible. Les signes sont ainsi pour nous, non des déclencheurs de la foi, mais des effets de notre confiance en la vie.
Et voici les signes, nous dit Marc, qui accompagnent ceux qui se risquent à croire.
1. « ils expulseront les démons, les possédés » ;
les disciples du ressuscité, vous et moi, avons pour mission première de chasser ce qui possède l’humain, ce qui l’aliène, ce qui le dépossède de lui-même. Remettre de l’humanité dans un monde déshumanisé, voilà la mission première, qui fait que nous devons
2. parler en langues nouvelles ;
les disciples du ressuscité ont sans cesse à inventer des nouveaux chemins, à explorer de nouvelles manières d’entrer en relation, de s’adresser à l’humain. Quitter la langue de buis ! Pour cela, pour apprendre la langue de l’autre, son altérité, il faut s’aventurer et…
3. prendre des serpents dans nos mains
plutôt que de fuir, les disciples du ressuscité ne doivent pas avoir peur d’affronter ce qui fâche, les défis, pour que
4. nous imposions les mains aux malades, et que les malades s’en trouvent bien. »
Voilà le critère ultime des disciples du ressuscité : la bienveillance.
Notre monde, selon l’expression de Charles Taylor, est « un monde de contrôle et de surveillance ». Mais le monde nouveau que nous avons à créer est un monde de lâcher prise, et de bienveillance.
Dès lors, si grâce à l’Evangile et cette mission qui nous est confiée, toutes nos épreuves qui commencent et se terminent peuvent devenir des occasions de fécondité, alors nous serons des témoins véridiques, des êtres travaillés de l’intérieur, des êtres ascensionnels, capables d’embraser le monde par des gestes de douceur et de bienveillance. Amen.