Un jour, un jeune homme s'agenouille au bord d'une rivière. Il plonge ses bras dans l’eau pour se rafraîchir le visage et là, dans l'eau, il voit l'image de la mort. Il se redresse très effrayé et lui dit :
«Que me veux-tu ? Je suis jeune! Pourquoi viens-tu me chercher sans me prévenir ? »
« Je ne viens pas te chercher, répondit la voix de la mort. Rassure-toi et rentre chez toi, car j’attends ici quelqu'un d'autre. Je ne viendrai pas te chercher sans te prévenir, je te le promets. »
Le jeune homme rentre joyeusement chez lui. Il devient un homme, il se marie, a des enfants, et suit le cours de sa vie tranquille.
Un jour d'été, se trouvant auprès de la même rivière, il s'arrête pour se rafraîchir. Et de nouveau il vit le visage de la mort. Il la salua et voulut se redresser. Mais une force terrible le maintient agenouillé au bord de l'eau.
Il prends peur et demande : « Que veux-tu ? »
«C'est toi que je veux, répondit la voix de la mort. Aujourd'hui je suis venue te chercher.»
Mais tu m'avais promis de ne pas venir me chercher sans me prévenir! Tu n'as pas tenu ta promesse ! »
La mort répond : « Je t'ai prévenu de mille façons. Quand tu croisais un visage, je te rappelais le mien. Comment peux-tu dire que je ne t'ai pas prévenu ? Chaque fois que tu croisais le visage d’un humain —qu’il soit jeune ou plein de rides— c’est moi qui te visitais pour te rappeler l’urgence d’aimer.»
Face à la mort, c’est toujours la même question qui revient… Pourquoi? Pourquoi lui, pourquoi elle? Pourquoi maintenant? Pourquoi moi?
Commémorer les défunts, ce n’est pas s’enfermer dans la spirale amère des pourquoi, mais c’est paradoxalement se poser le question du comment ! «Comment vivre?» Comment bien vivre en sachant que nous devons mourir? Comme vivre, en sachant que nous devons bien mourir? Comment être heureux malgré malgré la perte de ceux qui nous aimons?
Parce que la mort met un terme irrémédiable à notre soif d’aimer, elle reste le mystère ultime de notre existence. Et bien que ce soit notre seule certitude sur terre, nous sommes toujours désemparés quand elle survient. Nous sommes comme désarmés, dans un monde qui aime maîtriser, posséder, conserver, immortaliser. Or, la mort, c’est la dépossession par excellence. Certains la fuient, en la taisant. D’autres la défient. Mais bien peu en parlent ouvertement.
Voilà pourquoi il nous faut apprivoiser la mort, l’accueillir, oser peut-être en parler plus souvent, la domestiquer pour mieux vivre, pour découvrir que le temps qui passe est le chemin que prends l’éternité de Dieu pour nous rejoindre.
Le christianisme —permettrez-moi l’expression— a remis la mort au centre un milieu du village ! Prenez l’exemple des cimetières… Si dans la culture païenne, les morts étaient enterrés à l’extérieur des villes, les chrétiens ont voulu enterrer leurs morts dans le village, autour de l’église. Comme pour manifester ce lien qui nous unit avec tous ceux qui nous précèdent, par delà la vie éternelle. Un lien, peut-être ténu, mais qu’il nous appartient d’entretenir.
Et si nous éprouvons de la gêne à parler de la mort, c’est peut-être parce qu’au fond de notre coeur, il y a finalement ce sentiment que la mort n’est pas notre destinée. L’amour au fond de nous la défie. Comme pour dire, à l’être aimé qui nous précède,«je t’aime encore, tu restes bien vivant dans mon coeur, toi tu ne mourras pas. » Oui, notre amour, notre fidélité peuvent être plus grandes que la mort. Et c’est bien au nom de cet amour plus fort que la mort que nous nous sommes rassemblés ici, dans l’espérance de la résurrection. Nous nous souvenons —en ce jour— d’un proche, d’un ami, d’un mari ou d'une épouse, d’un père ou d’une mère, d’une frère ou d’une soeur, d’un enfant, d'un membre de sa famille, disparus à nos yeux, mais dans la foi, toujours vivants dans notre coeur.
Par-delà la vie éternelle, ils sont des passeurs de vie. Ils ont usé la vie, été peut-être usés par elle, mais ils nous invitent à aimer, à vivre plus intensément la vie, sans pour autant la défier. Peut-être même que leur souvenir rendra le jour de notre grand passage plus facile à traverser. Alors, illusion, rêve, ou fuite du réel? Peu importe, pour autant que cette foi en la résurrection qui nous rassemble, nous amène non pas survivre, mais à mieux vivre, à aimer davantage. Nos morts sont, dans les mains de Dieu, des grands vivants qui nous invitent à vivre la vie en abondance, et à éprouver l’urgence d’aimer. Amen.
Commémoration des défunts
- Auteur: Didier Croonenberghs
- Date de rédaction: 2/11/14
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 2013-2014
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