Pour comprendre la fête de l'Epiphanie que nous célébrons en ce dimanche, permettez-moi de repartir de ce superbe dialogue entre Sigmund Freud et un inconnu qui semble être Dieu. Cette conversation est tirée de la pièce « Le Visiteur » d'Eric-Emmanuel Schmitt. Freud. Tu es tout puissant ! L'inconnu. Faux le moment où j'ai fait les hommes libres, j'ai perdu la toute-puissance et l'omniscience. J'aurais pu tout contrôler et tout connaître d'avance si j'avais simplement construit des automates. Freud. Alors pourquoi l'avoir fait, ce monde ? L'inconnu. Pour la raison qui fait faire toutes les bêtises, pour la raison qui fait tout faire, sans quoi rien ne serait... par amour. Tu baisses les yeux, mon Freud, tu ne veux pas de ça, hein, toi, un Dieu qui aime ? Tu préfères un Dieu qui gronde, les sourcils vengeurs, le front plissé, la foudre entre les mains ? Vous préférez tous ça, les hommes, un Père terrible, au lieu d'un Père qui aime... Et pourquoi vous aurais-je fait si ce n'était par amour ? Mais vous n'en voulez pas, de la tendresse de Dieu, vous ne voulez pas d'un Dieu qui pleure... qui souffre... Oh, oui, tu voudrais un Dieu devant qui on se prosterne mais pas un Dieu qui s'agenouille...
Et voilà qu'aujourd'hui, c'est à notre tour de nous agenouiller devant ce Dieu qui s'agenouille à nos côtés. Cela peut nous sembler paradoxal et pourtant n'est-ce pas de cette manière que Dieu se manifeste à chacune et chacun d'entre nous en ce jour de fête ? Depuis cet événement, Dieu ne se cherche plus dans le Ciel. Il est dorénavant parmi nous. Mieux encore, il est en nous. Tel est le sens même de son agenouillement. Dieu vient partager notre humanité. Il se réjouit de se laisser découvrir en nous car nous sommes les crèches vivantes de Dieu au c½ur de notre monde. Ce dernier ne tournerait-il d'ailleurs pas de manière plus juste et vraie si nous étions capables de prendre conscience de cette manifestation divine inscrite au c½ur de l'humanité de tout être humain ? L'être humain est une création tellement belle. En effet, rappelons-nous, dans le premier récit de la Création, « Dieu vit que cela était très bon ». Réjouissons-nous de ce Dieu qui se manifeste à nous par le biais de ses propres créatures. Il se façonne en nous et nous ne faisons plus qu'un avec lui. Toutes et tous, quelle que soit notre race, notre origine, nos zones de lumière et d'ombres, nous sommes dignes de ce Dieu qui s'est fait l'un des nôtres. Dignes de Dieu, capables de Dieu, c'est-à-dire des femmes et des hommes qui, parce qu'ils s'humanisent, se divinisent par la même occasion. C'est donc bien dans le quotidien de nos vies, dans notre manière de répondre au souffle l'Esprit Saint, que le Père et le Fils se manifestent à nous et en nous. Nous vivons dorénavant par Lui, avec Lui et en Lui. Cette doxologie n'est pas seulement une affirmation théologique. Elle est également anthropologique. Dieu se laisse rencontrer au c½ur de notre propre humanité. Il y a en chacune et chacun de nous, ce lieu, au plus intime de nous-mêmes où se noue l'humain et le divin. C'est à cet endroit précis que Dieu s'agenouille et nous prend par la main pour dorénavant vivre notre propre vie humaine. Agenouillés face à Lui, nous lui offrons l'être que nous sommes et que nous souhaitons devenir. Nous nous offrons tout tendrement avec cette conviction que nous ne serons plus jamais seuls. Heureusement pour nous, nous sommes un peu comme ces mages de l'évangile. Nous venons ensemble nous donner à ce Dieu qui vit en nous. L'épiphanie n'est pas un tableau à admirer. Il ne s'agit pas d'un arrêt sur image d'une histoire merveilleuse. L'épiphanie est cette manifestation divine au monde entier qui nous pousse à nous mettre en mouvement. Osons cette transformation intérieure et regardons-nous les uns les autres, Dieu est en nous. Ayant découvert cette part divine en chaque être humain, il est évident que nous sommes conviés, nous aussi à notre tour, à prendre un autre chemin. Cette fête doit intérieurement nous déménager afin que notre foi soit vivante. Mieux encore, afin que notre foi soit la manifestation réelle de la présence de Dieu au c½ur de notre monde. Et cela se vit tout simplement dans la douceur et la tendresse de nos vies.
Amen