DE L'AIR ... DE L'AIR ... SORTIR !
Lorsqu'un penseur éminent disparaît, ses disciples pleurent la perte de ce génie, composent des éloges funèbres, érigent des monuments à la mémoire du disparu. Lorsqu'un révolté, un meneur d'hommes, est capturé et exécuté, tous ses camarades s'égaillent et disparaissent : la mort du chef provoque un irrésistible mouvement centrifuge, son programme est anéanti et la flamme de l'espoir s'éteint.
Or, après la mort de Jésus, tout se déroule différemment. Ses disciples réapparaissent complètement transfigurés : les lâches se montrent au grand jour ; les muets parlent ; les désespérés rayonnent de joie ; les femmes qui étaient reléguées dans l'ombre forment un même groupe avec les hommes ; ceux que la peur avait dispersés dans la nuit sont réunis; loin de pleurer, ils éclatent de joie ; au lieu d'organiser des pèlerinages sur la tombe du disparu, ils affirment qu'il est le Seigneur vivant en eux ; sans promettre des apparitions miraculeuses, ils se manifestent comme sa présence nouvelle ; cessant de rivaliser d'ambitions comme naguère, ils s'acceptent comme frères et s½urs unis dans l'unique mission de proclamer à tout l'univers l'Evangile : JESUS EST RESSUSCITE.
Comment expliquer ce retournement, cette conversion ? On a prétendu que les apôtres, d'abord anéantis par l'échec de ce maître qui les avait subjugués, s'étaient convaincus de sa survie, et que, jouets d'une hallucination, ils avaient inventé cette légende. Mais pourquoi inventer quelque chose qui allait leur coûter tellement cher ? En effet, en accusant Caïphe et Ponce Pilate d'erreur judiciaire, ils s'attiraient la colère et la haine des autorités juives et romaines ; ils devenaient suspects de subversion ; ils étaient rejetés par leur peuple et même par leurs familles. Bref leur foi nouvelle les coupait de leur milieu, les rendait dangereux à fréquenter. D'ailleurs très vite Pierre, Jean et d'autres seront arrêtés, flagellés, jetés en prison ; Etienne sera lynché ; Jacques décapité ; la vie de Paul sera un chemin de croix.
PENTECOTE : LE DON DE L'ESPRIT DE DIEU
A tous ceux qui leur demandaient la raison d'une telle transformation, les premiers disciples n'avaient qu'une réponse : nous avons reçu l'Esprit de Dieu, la Force divine que Dieu par ses prophètes, puis Jésus lui-même, avaient promis d'envoyer.
Quand arriva le jour de la Pentecôte (le 50ème après Pâques), ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues comme de feu, qui se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux. Tous furent remplis d'Esprit Saint : ils se mirent à parler en d'autres langues, et chacun s'exprimait selon le don de l'Esprit.
La Pentecôte était une fête très ancienne, célébrée 50 jours après la Pâque et donc appelée d'abord Fête des (7) Semaines, pendant laquelle, à la fin des moissons, on rendait grâce à Dieu pour ses bienfaits. Mais comme la Bible racontait que les Hébreux, libérés de l'esclavage d'Egypte avec Moïse, avaient atteint le mont Sinaï « le 3ème mois après la sortie » (Exode 19, 1) et y avaient reçu la Loi de Dieu, la fête était devenue « Fête de la Loi », « fête de l'Alliance » donc fête de l'Assemblée.
Hélas tout en fêtant la Loi, Israël devait reconnaître qu'il ne parvenait jamais à lui obéir parfaitement: il la connaissait sans pouvoir la mettre tout à fait en pratique. Les prophètes Ezéchiel et Jérémie avaient bien transmis une promesse de Dieu : « un jour je ferai une Alliance nouvelle, je mettrai ma Loi dans vos c½urs » oui mais à quelle échéance ?
Saint Luc affirme : Oui, cette heure est arrivée. Jadis Moïse était monté sur le mont Sinaï et en était redescendu avec les Tables de la Loi ; maintenant Jésus est monté au ciel, dans la Maison de son Père, et l'Esprit descend afin de renouveler leurs c½urs.
La Fête des moissons qui était devenue fête de la Loi est désormais devenue fête du don de l'Esprit ; la Nouvelle et ultime Alliance est nouée. Tout est accompli, plus rien n'est à attendre ; il n'y a plus qu'à répandre cette Bonne Nouvelle par tout l'univers et inviter tout être humain à recevoir l'Esprit qui recrée une humanité nouvelle.
LE DON DEVIENT MISSION : SES EFFETS
Or, il y avait, séjournant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque les gens entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d'eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l'émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes ...Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous, nous les entendons proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu.... »
Le souffle de Dieu chasse les disciples de leur abri, ils dégringolent l'escalier, ouvrent la porte, sortent dans la rue. Car la prière chrétienne isole d'abord mais elle ne met pas à part, n'écarte pas dans la solitude ni n'enferme dans un peuple ou une culture : toujours l'Esprit démolit les protections, ouvre les portes, pousse à la rencontre, abolit toute frontière. L'Esprit est courant d'air.
Luc s'amuse à noter les réactions des passants : « ...confusion...stupéfaction...émerveillement... ». Ils ne comprennent pas le sens de l'événement ; certains ricanent : « Ils sont pleins de vin doux ! »...comme si la seule manière d'être heureux, c'était de boire de l'alcool ! Celui-ci égare et emprisonne mais l'Esprit décoince, comble d'allégresse puisqu'il libère des contraintes, du désespoir, de la culpabilité ; il fait aboutir l'homme à sa plénitude car rien ne peut dépasser la communion de Dieu et l'homme.
La Pentecôte étant pèlerinage obligatoire, une foule de Juifs et convertis installés dans d'autres pays étaient montés à Jérusalem : ils sont surpris de percevoir le message dans leurs propres langues. C'est donc que l'Esprit n'impose pas une langue commune (même pas le latin !) : quand la Bonne Nouvelle retentit dans la clarté de l'Esprit, chacun peut l'entendre dans son dialecte.
L'orgueil et l'impérialisme avaient fait éclater l'humanité en nations rivales, chacune enfermée dans sa langue, sa culture, ses m½urs (mythe de la tour de Babel) : l'Esprit a mission d'unifier le monde mais non en imposant une expression, une théologie, une liturgie sous l'emprise d'un souverain unique. L'Esprit respecte les différences, l'amour s'ouvre au dialogue, à l'effort pour comprendre autrui, il oblige à ne pas absolutiser ce que l'on est et à entrer dans le monde de l'autre.
Ainsi tout de suite l'Esprit commence son ½uvre d'une mondialisation sans dictature : l'Evangile d'abord proclamé ici à la diaspora juive passera en Samarie, à Chypre, en Grèce, à Rome...et de là aux extrémités du monde. Non pour faire des « nations chrétiennes », non pour imposer une culture chrétienne, non pour vouloir une Eglise majoritaire mais « sel de la terre...levain dans la pâte » afin d'aider tout homme et toute femme à entrer dans le Royaume sans frontières de l'amour.
Le don de l'Esprit est un privilège sans clôture, un don pour la mission ; y répondre confère du même coup une responsabilité. Lorsque l'Eglise s'enferme dans ses murs, lorsqu'elle monopolise la révélation pour elle, l'Esprit n'est plus Souffle mais air confiné, rance, sec ; la Bonne Nouvelle devient doctrine, la morale, système, la liturgie, cérémonies.
A quelqu'un qui lui demandait pour quelle raison il venait de convoquer un concile, le bon pape Jean XXIII répondit en se levant et en allant ouvrir la fenêtre : « Je veux de l'air, de l'air !!! ».
Le pape François le proclame depuis son premier jour : il faut sortir, continuer l'exode, quitter nos cénacles douillets, sortir de nos certitudes figées pour rencontrer tout homme.
« Ne vous enfermez pas, je vous en prie ! C'est un danger...Quand l'Eglise reste fermée, elle tombe malade. Imaginez une pièce fermée pendant un an : quand on y entre, il y a une odeur d'humidité, beaucoup de choses sont en mauvais état. Une Eglise fermée, c'est la même chose, c'est une Eglise malade. L'Eglise doit sortir d'elle-même. Où ça ? Vers les périphéries existentielles quelles qu'elles soient...Que se passe-t-il quand on sort de soi-même ? Il peut arriver ce qui peut arriver à toute personne qui sort de chez elle et va dans la rue : un accident. Mais je vous dis : Je préfère mille fois une Eglise accidentée, exposée aux accidents, à une Eglise malade parce qu'elle ne sort pas. Allez dehors ! Sortez !...Il est important d'aller à la rencontre ; pour moi ce mot est très important...Parce que la foi est une rencontre avec Jésus, nous devons faire nous aussi ce que fait Jésus : rencontrer les autres...Nous ne pouvons pas devenir des chrétiens amidonnés, ces chrétiens trop bien élevés qui discutent de théologie en prenant le thé tranquillement... » (Veillée de Pentecôte, 18 mai 2013)
Fête de la Pentecôte
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps de Pâques
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2013-2014