La sainte famille

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 31/12/17
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : B
Année: 2017-2018


Lors des retraites pour fiancés que les dominicains proposent à l’abbaye de Brialmont, l’animateur présente toujours aux couples différentes thématiques et invite ceux-ci à répondre à une série de questions. Durant ces sessions, la première journée se termine toujours par une même question auquel chaque fiancé est invité à donner sa propre réponse. Je ne vous cache pas que cette question amène souvent quelques turbulences dans la conversation ! Je vous la livre : « Ai-je envie de reproduire l’éducation que j’ai reçue ? Comment est-ce que je vis la tienne? ».

Comparer les cultures familiales et l’éducation que nous avons reçue —surtout en ce temps de fête—  est toujours une approche délicate, voire dans certains cas déplacée. Nous comparons parfois ce qui est incomparable ! Quand il s’agit de parler de l’éducation, il faut bien accepter qu’il n’y a pas réellement de modèle et de définition. Le théologien André Paul a récemment publié un ouvrage au titre a priori provocateur, mais assez pertinent : « La famille chrétienne n’existe pas ». Son argument est que les discussions actuelles autour de la famille au sein de l’Eglise se basent avant tout sur une idée de la famille postérieure aux évangiles.

La famille —dans tout ce qu'elle a de complexe— est un lieu de joie comme de souffrances et de déchirement. Mais la famille que nous célébrons aujourd'hui n'est pas un modèle, dont l'exemple serait à suivre. Comme si le « modèle d’une famille chrétienne » n’existait pas et heureusement d’ailleurs. C'est pour cela que —qui que nous soyons— nous pouvons nous réjouir de cette fête, quelles que soient nos familles, composées, décomposées ou recomposées.

Célébrer la sainte famille, c’est célébrer ces lieux de relations qui cultivent l’art de la patience. « Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes » nous dit Saint Luc. Naître, c'est grandir et Dieu a voulu également grandir. Grandir exige dès lors une qualité si difficile à cultiver : un regard de patience, cette faculté de donner du temps au temps. D'ailleurs, dans l'évangile, immédiatement après avoir dit que la vraie famille de Jésus est formée de celui qui fait la volonté de Dieu, l'évangéliste poursuit par les paraboles qui décrivent l'action patiente de la parole de Dieu. Faire la volonté de Dieu, c'est donc essentiellement la laisser croître dans nos vies, patiemment.

Etre humain, c'est grandir ou mieux encore se laisser grandir patiemment. Voilà ce que nos lieux de vie, nos familles, quelles que soient leurs configurations, ont à apporter. Grandir, c'est prendre le pari que tout ne se passe pas comme je le veux ; c'est accepter que les autres sont autres précisément parce qu'ils avancent à leur rythme.

Grandir dans la patience, c'est aussi affronter le risque des croissances difficiles, des moments de crise, voire d'échec. Grandir, c'est aussi pouvoir vivre les saisons d'hiver, la solitude qui veut que toute personne, à certains moments, doit croître seule. Mais c'est surtout reconnaître qu'on grandit aussi par la présence secrète et mystérieuse de proches qui nous font le don de leur patience. Offrir sa patience à l'autre, c'est donc le respecter avec délicatesse et douceur. C’est l’accompagner sans juger. Offrir sa patience à l'autre, un conjoint, un parent, un frère, une sœur, un ami, c'est le laisser grandir en lui offrant le temps de sa germination. A force de vouloir un rendement humain immédiat, combien d’entre nous ne savent plus offrir le temps et la patience aux autres, même à ceux qu'ils aiment !  

Oui, la patience —et l’étymologie du mot le suggère bien— est ce qui permet d’endurer, et donc de durer. Il s’agit de voir le temps qui passe non comme une menace, mais comme un lieu de révélation. Loin d’être une forme de résignation, elle est finalement l’art d’espérer, une démarche de confiance qui adoucit les difficultés, sans offrir de remède.

Quelle que soit notre histoire familiale, nous sommes toutes et tous inscrits dans une famille qui nous précède. Et si nous croyons être en décalage par rapport à une famille soi-disant modèle, nous ne le serons jamais par rapport à Dieu. Car nous sommes toutes et tous ses fils et filles adoptifs. Quelles que soient les joies et les blessures de nos existences, une famille plus grande nous précède. A nous d'y entrer, avec patience, à notre rythme, dans cette famille où tout le monde trouve sa place. Amen.