«SACREMENT DE L'AMOUR, SIGNE DE L'UNITÉ »
Il a suffi d'une cinquantaine d'années pour que, chez nous en Occident, la pratique religieuse subisse un effondrement spectaculaire. Alors que, dans certaines régions, plus de 75 % de la population allaient à la messe du dimanche, aujourd'hui on est tombé en beaucoup d'endroits en-dessous des 5 %. Et comme ce sont les jeunes générations qui manquent, les assemblées vieillissent et marchent vers un avenir très hypothétique. Sans parler de la crise des vocations sacerdotales.
Devant cette situation alarmante, évêques, théologiens et sociologues religieux multiplient les recherches et les études afin d'en discerner les causes. Pourtant nos Eglises n'ont pas été persécutées de façon violente, la liberté de culte a été sauvegardée, les Etats ont même offert des subventions énormes afin de réparer et entretenir les édifices religieux. Mais de façon plus insidieuse, on a créé une société de bien-être, de consommation sans freins, de compétitivité, de recherche du profit immédiat tandis que les médias répandaient une idéologie séduisante qui dévalue la religion comme une survivance désuète et la pratique comme une habitude surannée.
Que faire ? Il serait trop simple de nous limiter à des plaintes et gémissements, à des anathèmes contre cette société matérialiste, à des critiques contre le laxisme des m½urs, à des reproches contre les jeunes insouciants. Certains assurent même que le mouvement de sécularisation a guéri l'Eglise de ses tentations de pouvoir, d'intolérance, de fondamentalisme, qu'il a promu la liberté de choix et qu'il est en train de faire obstacle à la tentative de rétablir une société gérée par des principes religieux.
Toute crise déséquilibre le système, inquiète les esprits accrochés aux habitudes séculaires, met en question des certitudes, des habitudes, un certain langage. Si le danger de torpillage est réel, la crise peut aussi aider l'institution religieuse à sortir de ses ornières, à se renouveler, à accueillir les audaces modernes comme des avancées. Ne sommes-nous pas en train non de péricliter mais de revenir à une situation « normale » ? Si des nations comme la France et l'Allemagne avaient été si chrétiennes, aurait-on tenu des discours de haine et béni des armes avant de se jeter les uns contre les autres ?
Quand Jésus proclamait que les possédants doivent partager, que les injuriés doivent pardonner, que la vengeance et le racisme sont intolérables, qu'il faut accepter de porter sa croix et donner sa vie, il savait que son Eglise ne serait qu'un peu de sel dans les aliments, un peu de levain dans la pâte.
Bref le problème n'est pas de vouloir à tout prix remplir les églises mais y réunir des chrétiens heureux de croire, conscients des exigences d'un baptême qu'ils ont voulu et décidés à les mettre en pratique. Alors les sacrements ne sont plus les sacralisations des tournants de la vie (naissance, puberté, mariage, mort) mais des actes pour promouvoir la sainteté en Christ et vivre ensemble le Royaume tel que Jésus l'a institué : l'existence selon les Béatitudes.
La Fête de l'Eucharistie nous invite donc aujourd'hui à une méditation sur ce Mystère.
Jamais Moïse, Jérémie, Jean-Baptiste n'auraient imaginé pareille « invention », conscients qu'après leur mort, ils ne laisseraient que des souvenirs, des préceptes et des recommandations à leurs disciples. Jésus, lui, savait qui il était : le Fils du Père, envoyé pour sauver les hommes. Offrant aux siens le pain et le vin comme son Corps et son Sang, il transformait l'échec de sa Passion en une action victorieuse, sa croix en don, sa mort en vie pour les autres. L'Eucharistie n'a rien d'un jeu ni d'une parenthèse pieuse dans le cours de l'existence.
D'abord désemparés, incrédules devant ce geste inouï de leur Maître, les Apôtres ont dû être secoués, bouleversés par les retrouvailles de Jésus ressuscité et par le don « soufflant » de son Esprit et pour qu'ils comprennent la signification et la portée du dernier acte de leur Maître.
Jésus l'avait prescrit : « Faites cela en mémoire de moi » : donc le souvenir de Jésus n'était pas un regret qui allait s'estomper avec le temps mais un acte : se réunir autour d'une table et refaire ce qu'il avait fait. Il n'y aurait plus d'apparition miraculeuse d'un Messie parmi les hommes mais l'apparition d'une communauté fraternelle en laquelle le Fils de Dieu continuait à vivre. Oui il demeurait avec eux, comme il l'avait promis. L'Eucharistie du dimanche est la première proclamation de la Bonne Nouvelle.
Des disciples, tel Thomas, étaient restés incrédules devant l'affirmation incroyable de la résurrection : c'est en allant à la réunion « huit jours après », c.à.d. le premier jour de la semaine suivante, qu'ils allaient s'ouvrir à la foi (Jn 20, 24). D'autres disciples, comme Cléophas, écrasés par la croix, tournaient le dos à l'Eglise et se mettaient à la recherche d'un autre sauveur. Mais en relisant les Ecritures, en reprenant le dialogue, en jetant la lumière de la résurrection possible sur leur foi ancienne, en se remettant à table pour partager un Pain qui leur offrait une présence, « leurs yeux s'ouvraient » et en toute hâte, ils couraient rejoindre la communauté de Pierre (Luc 24, 13)
Ainsi les premiers chrétiens, si incroyable que fut le récit de la dernière Cène, comprirent que l'Eucharistie n'était pas obligatoire mais indispensable, qu'elle constituait un des 4 piliers sur lesquels reposait l'Eglise naissante : « Ils étaient assidus à l'enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du Pain et aux prières » (Ac 2,42). Elle synthétisait même tous ces éléments puisque, à la messe, on écoute les lectures, on partage la collecte et la poignée de main, on mange le Corps du Christ, on prie l'Esprit dans l'union des c½urs.
Saint Paul, ulcéré d'apprendre que les Corinthiens se séparaient en groupes différents selon la richesse, leur écrivait que le Repas du Seigneur ne pouvait avaliser les distinctions de classe : « Lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a des divisions....Ce n'est pas le Repas du Seigneur que vous prenez ! ... Car celui qui mange et boit sans discerner le Corps du Seigneur mange et boit sa condamnation » (1 Cor 11, 29). Paul ne reprochait pas aux Corinthiens de ne pas croire en « la présence réelle » du Seigneur Christ dans les aliments mais de ne pas la distinguer dans l'assemblée, la communauté qui les partage.
En effet le but de l'Eucharistie est l'union des croyants, la manifestation visible de l'Eglise. La foi dans le Pain consacré est charité, amour entre ceux et celles qui, en communiant deviennent « présence réelle » du Ressuscité. « Puisqu'il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps» (1 Cor 10, 17)
Il est remarquable que les premiers chrétiens n'aient pas décidé de fêter la Pâque de leur Seigneur au jour anniversaire (au printemps suivant) mais bien chaque semaine. Et non le jour de la dernière cène (jeudi) ni le jour de la croix (vendredi) mais le lendemain du shabbat, le premier jour de la semaine, jour de le Résurrection de Jésus, qu'ils dénommèrent « Jour du Seigneur », jour de la victoire de la Vie, jour marqué par la convocation de l'assemblée des baptisés et doté d'un nouveau nom DIMANCHE.
Le mot EGLISE ne désigne pas d'abord un édifice mais la communauté rassemblée, l'appel de Dieu à sortir de la vie ordinaire afin de rejoindre les frères croyants dans le partage du Pain et du Vin et ainsi manifester la présence du Royaume de Dieu au c½ur de l'histoire.
S'il y a équivalence entre : Résurrection, Assemblée, Fraction du Pain, Dimanche, il est donc difficile de se dire « chrétien » tout en refusant d'adopter ce rythme de vie et en ne rejoignant pas l'assemblée puisque Jésus est mort et ressuscité dans le but même de réunir les croyants.
L'évangile de ce jour évoque le scandale abominable que constituaient encore les paroles de Jésus à la fin du 1er siècle et prouve la valeur unique, essentielle, de l'Eucharistie :
« Je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Les Juifs hurlaient violemment: « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour............ » (Jean 6, 51-58)
Le Corps et le Sang du Seigneur
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2013-2014