Mercredi des Cendres

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A, B, C
Année: 1999-2000

Et si Dieu venait ce soir nous susurrer dans l'oreille : « au fait, j'ai une mauvaise nouvelle pour toi, il te reste juste quarante jours à vivre sur cette terre. Dans quarante jours exactement, tu viendras vers moi pour l'éternité ». Malgré le fait que nous nous définissions comme chrétiens et chrétiennes, je ne suis pas du tout sûr que ce genre de nouvelle nous fera bondir de joie. Et si c'était tout simplement cela le carême.

Il y a quelques années, j'ai eu le privilège de vivre quelques jours, au sud du Rwanda, dans un camp composé de réfugiés en provenance du Burundi. Ces 5 jours m'ont marqué à jamais. Dans ce camp, il y avait une section où plus ou moins 500 jeunes de 15 à 20 ans se trouvaient. Ils avaient tout perdu, famille, amis, maison. De ce qu'ils avaient auparavant, ils ne restaient plus qu'eux-mêmes, mais vivant. Ils souhaitaient eux aussi vivre leur entrée en Carême, c'était un mercredi des Cendres. Il fallait prêcher, mais tout ce qu'on m'avait toujours dit sur ce qu'était le carême, ne fonctionnait pas là-bas. Il faut jeûner pour partager. Mais c'est ce qu'ils font déjà tous les jours vu la précarité de leur situation. Je découvrais que cette conception-là du carême était bien occidentale, c'est-à-dire était possible à vivre quand tout allait bien. C'était donc une vision trop restrictive. Le carême signifiait donc autre chose.

Et si c'était tout simplement le fait d'oser nous rappeler que nous sommes toutes et tous des êtres mortels, qu'il y a une limite au bout de notre vie terrestre, une échéance par laquelle nous passerons. La vie nous a été donnée. Notre vie s'inscrit dans un temps, nous le croyons immortel mais ce temps donné est court, bien trop court. Il n'y a pas de temps à perdre pour vivre, mais vivre intensément. Le Christ, ce soir, nous fait le cadeau de 40 jours pour redécouvrir ce qui est essentiel, pour nous désencombrer de ce qui nous alourdit, de ce qui nous empêche de devenir ce à quoi nous sommes appelés, c'est-à-dire nous-mêmes. 40 jours pour retrouver le sens de vivre notre vie, pour nous recentrer sur notre condition mortelle : « souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ». Au-delà du caractère tragique de ces mots, les cendres que nous recevrons dans un instant sont là pour nous rappeler que sous nos cendres, il y a des braises qui ne demandent qu'à être attisées pour devenir à nouveau feu pour soi, feu pour l'autre. Mais cela n'est possible que si nous prenons véritablement conscience que nous ne sommes pas Dieu et donc bien des êtres mortels désireux de réaliser leur vie.

Le cadeau de Dieu : 40 jours. 40 petits jours pour revenir à ce qui fait notre essence. Et ne voulant pas nous laisser désemparés face à un tel chemin, le Christ nous propose des moyens : le jeûne, l'aumône et la prière. Ils sont des moyens et non des fins puisque la finalité de ces 40 jours, c'est la conversion : conversion des coeurs, conversion de vie. A chacune et chacun, dans le secret de son être à trouver les moyens qui lui permettront d'atteindre une telle fin ; si le Christ nous en propose trois, il y en a encore bien d'autres, à nous de les découvrir et de choisir. 40 jours, c'est peu ; une vie aussi c'est peu. N'attendons pas demain pour nous convertir. La conversion, c'est ici et maintenant. Alors et alors seulement, nous vivrons pleinement. Si le carême, c'est vraiment cela, c'est joyeusement que je vous le souhaite extraordinaire. Amen.