Noël et l'Eucharistie
La naissance de Jésus n'eut rien d'un "scoop" : nul journaliste n'accourut pour obtenir la priorité de la nouvelle, nulle personnalité ne se pressa pour pouvoir se vanter d'avoir été témoin de l'événement - qui allait pourtant marquer l'histoire au point d'en devenir le centre.
Si les médias avides de spectaculaire et de scandale étaient absents, ce sont au contraire des bergers qui, d'après saint Luc, se sont présentés les premiers pour voir l'enfant. Ne les imaginons pas à la mode des santons provençaux, beaux petits garçons bouclés, mignons et bien élevés. Ces jeunes gens dépenaillés, payés quelques sous pour veiller la nuit sur les troupeaux de moutons, exerçaient un métier méprisé : fréquents chapardeurs, ils étaient tenus pour impurs au même titre que les publicains et mis à l'écart de la belle société.
Marie va ainsi de surprise en surprise. Neuf mois auparavant, l'Ange du Seigneur lui avait annoncé un fils qui serait grand, qu'on appellerait Fils du Très-Haut, qui règnerait pour toujours pour un règne qui n'aurait pas de fin ( Luc 1, 32). Or voilà qu'elle est obligée d'accoucher au hasard d'un voyage, en pleine nuit, loin des siens, et de déposer son bébé sur la paille d'une mangeoire ! Et les premiers à venir près de lui, ce sont de jeunes minables, des gars de mauvaise réputation, des loubards ! Tout semble démentir la promesse !?
MEDITER L'EVENEMENT
Saint Luc note la réaction de Marie devant cette situation, et il faut la souligner : elle est tellement importante que l'évangéliste la répètera plus tard lors de la scène du recouvrement de son garçon au temple (Luc 2, 51)
" Tout le monde s'étonnait de ce que racontaient les bergers. Cependant Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son c½ur".
Marie n'est pas maîtresse de la situation, elle ne comprend pas, bouleversée, comme déjà lors de l'Annonciation (Luc 1,29) :, emportée dans une aventure dont le tragique est pieusement gommé dans nos crèches trop jolies, avec leurs personnages aux poses de théâtre, leurs animaux trop sages et leurs décorations de Disney land. Pour éviter d'être radicalement remise en question par le vrai Noël, notre société a eu bien soin de le réduire à un folklore anodin.
Marie, fatiguée, déconcertée mais confiante et abandonnée dans les mains de Dieu, ne veut rien oublier de ce qu'elle est en train de vivre : elle médite, elle grave dans sa mémoire le moindre détail de ces journées, elle cherche à en comprendre le sens profond. Qu'est-ce que Dieu veut dire à travers tout cela ?...
Elle ne doute pas qu'un jour tout s'éclairera.
NOËL ET LA DERNIERE CENE
En effet Marie comprendra enfin les raisons de ces événements bien plus tard lorsque, son Fils disparu, les apôtres lui raconteront ce qu'ils avaient vécu avec lui lors de son ultime soirée, quelques heures à peine avant son arrestation et sa mort en croix.
En cette nuit où ils avaient célébré la Pâque - mémoire de la libération des esclaves hébreux hors d'Egypte -, Jésus tout à coup leur avait tendu le pain puis la coupe de vin en leur disant :
" Prenez, mangez, buvez : ceci est mon corps, ceci est mon sang...Vous ferez cela en mémoire de moi".
Ainsi donc, la dernière nuit de Jésus correspondait à la première, le dernier repas avec la naissance : tout s'éclairait.
Celui qui avait reposé dans une mangeoire, était devenu le Pain de vie qui demeurait à présent dans le c½ur de ses disciples.
Le mystère qui s'était déroulé en Marie se prolongeait, se perpétuait dans les croyants qui, par leur communion, devenaient le CORPS du Christ.
Les apôtres qui allaient trahir leur Maître n'étaient pas plus purs que les bergers de jadis : mais le Seigneur s'offrait à eux non pour récompenser leur sainteté mais pour secourir leur faiblesse et leur offrir le pardon.
Plus n'était besoin de faire des pèlerinages : en se rassemblant pour partager l'Eucharistie : où que l'on soit, on se resituait à " Beth-lehem" qui veut dire "la Maison du Pain".
Jésus était bien le Nouveau Roi, non le David guerrier et chef d'armée, mais le Roi de grâce et de douceur, le Seigneur qui libérait ses disciples (mendiants aussi pauvres que les bergers de jadis) en se donnant à eux par miséricorde.
On pouvait oublier la date de la naissance de Jésus (les apôtres ne fêteront jamais le 25 décembre) : le moment qui seul compte, c'est celui de la COMMUNION où Jésus re-naît "en Eglise".Il est, et pour toujours, EMMANU-EL = " DIEU -AVEC-NOUS".
Marie regarde l'Eglise et celle-ci contemple Marie son modèle.
Comme elle, elle est lancée dans une aventure qui la dépasse, elle vit des situations dont elle ne comprend pas le sens, elle traverse des nuits et des solitudes qui l'effraient. Mais elle est sûre que sa grandeur, qui échappe aux yeux de tous, ne réside pas dans les fastes et le nombre : elle se sait porteuse d'une Parole, d'une Vie, d'un Être qui ne sont pas son ½uvre. En son sein naît et renaît sans cesse Celui qui l'a élue avant les siècles et qui la conduira jusqu'à la fin de l'histoire.
Comme Marie, l'Eglise est eucharistique, temple de louange, peuple de veilleurs dans la nuit du monde, maison toujours ouverte aux bergers souillés et aux lâches disciples.
Un grand mystique, un grand poète , ANGELUS SILESIUS ( 1624-1677) écrivait :
Le c½ur est un cristal, la Divinité sa transparence.
Ton corps dans lequel tu vis est leur écrin à tous les deux.
Christ serait-il né mille fois à Bethléem et non en toi,
Tu restes perdu à tout jamais