Vous avez peut-être lu ou entendu que, vendredi dernier, c’était la journée mondiale de la procrastination! Comme s’il n’y avait pas assez de journées mondiales…
La procrastination vient de pro (qui signifie « en avant ») et crastinus (« de demain »). La procrastination est donc cette tendance à ne pas vivre aujourd’hui, mais à tout remettre au lendemain, à plus tard. C’est une forme de manque de confiance en soi, une incapacité à prendre des décisions… une peur d’agir peut-être, qui fait passer l’urgence avant l’essentiel, et qui remet tout à plus tard . En ce sens, tout le monde procrastine à des degrés divers…
En relisant cet évangile, je me suis dit que “l’autre disciple” souffrait de ce syndrôme… Et je dis bien : Syndrôme qui signifie d’ailleurs littéralement “courir avec”… Il y a donc un syndrome qui court avec nous… La course de Pierre et de l’autre disciple est vraiment folle, l’autre disciple arrive au tombeau le premier, mais il n’entre pas…. Comme s’il voulait reporter à plus tard son entrée dans le tombeau !
Accueil de la Résurrection… et procrastination ne font vraiment pas bon ménage. Car la résurrection —si elle veut avoir une quelconque pertinence— commence bien aujourd’hui, ici maintenant. La résurrection, c’est l’irruption de l’espérance dans notre quotidien. Alors que si souvent, nous renvoyons sine die la confiance et l’espérance!
Pâques, c’est justement ne pas reporter à plus tard l’espérance. C’est vivre intensément l’instant, envers et contre tout, l’aujourd’hui de notre existence. Vivre Pâques, c’est fondalement redécouvrir, accueillir le temps pour ce qu’il est vraiment, ce chemin que prend l’éternité de Dieu pour nous rejoindre. Le foi en la résurrection ne consiste donc pas à remettre à plus tard une promesse, et se réfugier dans un après ! C’est accueillir l’instant.
« Demain, j’arrêterai » disent les procastinateurs…
« Aujourd’hui, tout commence » disent les êtres résurrectionnels.
Car oui, « aujourd’hui, tout commence, tout recommence, tout est recréé ». Pour vous comme pour moi. C’est ce que proclame Marie Madeleine, l’apôtre des apôtres, qui annonce l’incroyable, qui proclame l’indicible ; celle qui fait de grand matin, le premier jour de la semaine, ce que certains auraient peut-être reporté à plus tard.
Les disciples sont venus au tombeau, c’est à dire littéralement au lieu du souvenir. C’est le lieu du regret, du passé, de la nostalgie aussi. Et vous aurez peut-être déjà remarqué que, dans les évangiles, il n’y a pas de témoins de l’acte de ressusciter. Jésus ne s’est pas « montré » ressuscitant. Voilà pourquoi, pour vivre la joie de Pâques, il nous faut peut-être comme les deux disciples dans l’Evangile, découvrir là où quelqu’un ne se trouve plus. Découvrir la résurrection dans sa vie, c’est voir et croire qu’un proche —un conjoint, un ami, soi-même— ne se trouve plus dans un lieu de tristesse et mort, mais qu’il est au-delà, plus loin, qu’il s’est relevé. Vivre le grand passage, c’est entrer dans le tombeau, poser un regard sur les bandelettes, c-à-d. voir ce qui fait que nous sommes déliés. Entrer dans le tombeau, c’est poser un geste de souvenir au-delà de l’émotion, c’est accueillir le présent, pour vivre et aimer avec confiance. Vraiment, la joie de Pâques : c’est remettre de la vie dans nos existences si souvent pleines de passions tristes. Remettre de la vie, lorsqu’une parole console, lorsqu’un mot tendre rassure, lorsqu’un geste de douceur ou un visage apaise. Tous ces moments nous montrent que nos tombeaux, c’est-à-dire nos propres lieux de morts et de stagnation, peuvent être vides.
Comme l’autre disciple, nous remettons bien souvent de simples actes d’amour à plus tard. Procrastiner, en amour, c’est étouffer la tendresse, scléroser son cœur. Mais vivre Pâques au quotidien, c’est découvrir que le don de la vie recommence chaque matin, pour celui qui garde la force fragile de la lumière espérance.
Bien entendu, toutes et tous, nous courrons, mais nous n’entrons pas toujours dans ce qui peut véritablement nous recréer. Nous sommes tous comme l’autre disciple. Nous courrons, mais nous n’entrons pas forcément dans la confiance… L’espérance —et particulièrement en ces jours troublés— semble vraiment remise pour plus tard. Mais comme dans l’évangile, il y a des personnes, des passeurs, qui nous précédent… comme si la foi d’un autre, devait toujours précéder notre geste.
Pour celui qui écoute cette annonce, il est toujours possible de poser un regard printanier sur sa vie, et d’accueillir maintenant ce que nous reportons souvent à demain. C’est cela le souffle de Pâques, celui qui nous fait entrer dans nos tombeaux, qui fait le vide de nos peurs. Que cette joie de Pâques nous accompagne !