SI TU LUI DIS : « TU ES LE FILS » , TU ES « PIERRE »
Rien n'est anodin ou superflu dans les Evangiles : tout a une signification. Matthieu précise que Jésus emmène ses disciples tout au nord de leur pays, là où la Galilée bute sur le massif montagneux de l'Hermon (attitude près de 28OO m - seule station actuelle de ski en Israël). Au bas de la montagne surgissent les flots impétueux des sources qui donnent naissance au fleuve Jourdain. La région est magnifique, verdoyante, fertile, tout à l'opposé de la Judée très aride. Philippe, le fils d'Hérode le grand, a lancé le projet d'une ville en honneur du César Tibère et portant son propre nom : « Césarée de Philippe ». La cité devient un nouveau témoin de la prestigieuse civilisation de l'époque (dite gréco-romaine) avec ses temples, théâtres, stades et sa démocratie : tous les citoyens sont convoqués aux réunions de l' « ekklesia » afin d'y débattre librement et voter les lois.
Tel est « le monde » qui se développe en ce temps et que Jésus connaît bien : à 7 km de son village de Nazareth, il a vu construire « la perle de la Galilée », Tsipori (Sepphoris) où l'on voit encore les ruines d'un théâtre de 4000 places et où peut-être d'ailleurs son père charpentier a travaillé. La civilisation apporte la paix et la prospérité, favorise enrichissement, luxe, voyages, distractions, confort.
Que va faire Jésus pour réaliser le Royaume de son Père dans « ce monde » ?
Surprise : il ne montre aucun mépris pour cette cité païenne, il ne vitupère pas contre les temples d'idoles, les statues de dieux nus, le luxe ostentatoire, les m½urs dévergondées, les marchés où l'on vend des esclaves, il ne jette pas l'anathème sur « une civilisation de mort ».
En effet en cas de maladie, le problème n'est pas la maladie elle-même mais le médecin et les médicaments appropriés. Il ne faut pas maudire la société mais y instiller le moyen de sauver l'homme. Ne critiquons pas « le monde » : soyons une Eglise authentique.
Qu'a donc vu Jésus lors de son excursion ? Une montagne, un roc majestueux d'où sourd l'eau qui donne la vie ; la source du Jourdain où il a reçu son appel de baptême; une ville-type de la civilisation avec son « ekklesia » démocratique (l'assemblée des citoyens qui votent les lois); des architectes et ouvriers édifiant avec soin des bâtiments. Grâce à cela il va enseigner son projet d'ekklesia à lui, d'Eglise - mot qui n'apparaît qu'ici (et 18, 17) dans les 4 évangiles et dont nous allons méditer le sens d'après ce texte.
Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l'homme ? ». Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres encore, Jérémie ou l'un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » .... Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Jonas : ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »
*« Eglise » ne désigne pas d'abord un bâtiment mais l'assemblée. « Je vais à l'Eglise » signifie : je me rends à la communauté où qu'elle soit : on va y prier, étudier l'Evangile, échanger, partager le Pain, décider - de façon démocratique - de la mission commune.
* Elle n'est pas ½uvre humaine : « Je bâtirai mon Eglise » dit Jésus : elle est sienne, unique, il la commence, il la construit, il l'agence, il la garde, elle est son ½uvre.
* Les disciples sont ceux et celles qui répondent à l'appel de Jésus. Ils continuent à vivre dans la cité mais Jésus les a « appelés-hors » (ek-klesia) pour être une communauté spécifique dans la foi et l'amour.
* Les disciples ne construisent pas l'Eglise : ils en sont les éléments, « les pierres » que leur Seigneur choisit, joint, assemble pour construire la Maison de Dieu. Nous voulons toujours « faire » : or il s'agit de nous laisser adapter les uns aux autres.
* Simon, le pêcheur du lac de Galilée, est choisi afin d'être le premier élément de la communion, il est donc renommé « Pierre » pour indiquer sa fonction de pierre de fondation. Sa justification n'est pas due à ses qualités, ses mérites, son intelligence, sa culture mais uniquement à la volonté du Seigneur Jésus.
* Son titre repose sur sa confession de foi : « Tu es le Christ, le Fils de Dieu ». Celle-ci ne peut être la reprise d'une opinion courante, la répétition d'une formule de catéchisme, une vague croyance conservée en privé. La foi se dit, et elle se professe de façon personnelle. « Que dis-tu que je suis ? » : chacun doit répondre pour soi-même.
* Cette profession de foi n'est pas le fruit d'une théologie, d'une argumentation mais une révélation, un don du Père.
* Par cette foi, Pierre reçoit « les clefs du Royaume » qui seront aussi données aux disciples (18, 18). « Lier et délier » est déjà une expression juive pour désigner le pouvoir de permettre et défendre, d'admettre et refuser. L'Eglise, comme son Seigneur, aura comme mission essentielle d'ouvrir les portes du péché par la miséricorde, d'être messagère de la libération de l'homme: « Confiance, mon fils, tes péchés sont pardonnés » (9, 2)
* La guerre et le temps frapperont Césarée, et Athènes et Rome ; toutes ces villes raffinées, si belles d'apparence mais rongées par l'injustice et l'idolâtrie, seront tôt ou tard des amas de ruines avec quelques vestiges pour les musées tandis que l'Eglise de Jésus, sa communauté, jamais ne périra puisque la mort des baptisés en fait des saints éternels et que l'assassinat des martyrs les rend semences de nouveaux chrétiens.
* Au c½ur de l'Eglise - le c½ur du Christ crucifié - jaillit la source d'eau emportant la boue du péché, renouvelant la création et suscitant la floraison d'une humanité qui porte des fruits de bonté, de douceur, d'humilité, de confiance et de paix.
* Au milieu de toutes les cités vouées à tous les Césars (orgueil, toute puissance, ambition, cupidité, violence....), l'Eglise du Christ témoigne de l'amour du Père, de la communion de ses enfants et de l'espérance d'une humanité enfin guérie et heureuse.
Mais il ne faut pas omettre la suite du récit.
À partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t'en garde, Seigneur, cela ne t'arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi un scandale, une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Nous sommes au tournant, à un nouveau « commencement » (4, 17) Jésus décide de monter à Jérusalem afin d'y proclamer son message : « Convertissez-vous : le Règne de Dieu approche ». Effectivement le Royaume de Dieu va s'ouvrir : ce ne sera pas par des paroles et des guérisons mais par la mort et la résurrection de Jésus. La croix en est la clef et Pierre, tout fier de sa distinction nouvelle, heureux de posséder les clefs, refuse celle-là !
Qu'il faille que Jésus meure : intolérable, impossible ! Il veut une Eglise solide, propre, resplendissante de qualités, exhibant sa puissance... bref sur le modèle de Césarée, la cité païenne ! Et combien de ses successeurs tomberont dans la même tentation : vouloir un Jésus sans croix, une Eglise de croisades, sans misère, un Evangile sans la pâque à travers la mort. Jésus le rabroue violemment : « Tu es satan, non plus pierre de fondation mais pierre d'achoppement, cause de scandale qui empêche de croire vraiment car tu veux contrecarrer le projet de Dieu. ».
Jésus n'a pas quitté ce monde dans lequel il vivait : il l'a accepté et y a fondé une communauté nouvelle, basée non sur l'argent et l'ambition mais sur l'humilité de pauvres hommes comme Pierre et Paul, émerveillés non de devenir des personnages célèbres mais d'être des pierres, des éléments d'une communion indestructible chargée d'apporter aux hommes lumière et vie. Ils se savaient pécheurs et fondaient des paroisses pleines de défauts. Mais il n'y avait d'avenir du monde que là.
Que nos vacances ne soient pas seulement voyage, divertissement, évasion : prenons le temps de réfléchir à l'Eglise, à notre vocation de « pierres »... Que nous laissions là nos idées d'hommes afin d'obéir aux idées de Dieu et témoigner de la joie d'être « des pierres vivantes » dans une Eglise toujours à réformer.
Saint Pierre et Saint Paul
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2013-2014