Lors des retraites pour fiancés que les dominicains proposent à l’abbaye de Brialmont, l’animateur présente toujours aux couples différentes thématiques et invite ceux-ci à répondre à une série de questions. Durant ces sessions, la première journée se termine toujours par une même question auquel chaque fiancé est invité à donner sa propre réponse. Je ne vous cache pas que cette question amène souvent quelques turbulences dans la conversation ! Je vous la livre : « Ai-je envie de reproduire l’éducation que j’ai reçue? Comment est-ce que je vis la tienne? ».
Comparer les cultures familiales et l’éducation que nous avons reçue est toujours une approche délicate, voire dans certains cas déplacée. Ne comparons pas ce qui est par essence, incomparable ! Quant il s’agit de parler de l’éducation, il faut bien accepter qu’il n’y a pas réellement de modèle et de définition.
La famille —dans tout ce qu'elle a de complexe— est un lieu de joie comme de souffrances et de déchirement. Et la famille que nous célébrons aujourd'hui n'est certainement pas un modèle, dont l'exemple serait à suivre. Comme si le « modèle d’une famille chrétienne » n’existait pas ! En effet, avouez qu'il faut une bonne dose d'humour pour fêter la « sainte famille » en nous présentant un ado qui fugue et fausse compagnie à ses parents sans prévenir en leur rappelant qu'il doit être aux affaires de « son Père ».
C'est pour cela que —qui que nous soyons— nous pouvons nous réjouir de cette fête, quelles que soient nos familles, composées, décomposées ou recomposées.
Finalement, l'enfant de Bethléem, Jésus au milieu des docteurs de la loi dans le Temple nous rappelle une chose essentielle, sur nous-mêmes et sur Dieu. L'humanité de notre Dieu est bien un chemin de croissance. Naître, c'est grandir et Dieu a voulu également grandir. « Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes » nous dit Saint Luc. Grandir exige dès lors une qualité si difficile à cultiver : un regard de patience. La patience est cette faculté de donner du temps au temps. D'ailleurs, dans l'évangile, immédiatement après avoir dit que la vraie famille de Jésus est formée de celui ou celle qui fait la volonté de Dieu, l'évangéliste poursuit par les paraboles qui décrivent l'action lente et patiente de la parole de Dieu. Faire la volonté de Dieu, c'est essentiellement la laisser croître dans nos vies, patiemment.
Etre humain, c'est donc grandir ou mieux encore se laisser grandir patiemment. Voilà ce que nos lieux de vie, nos familles, quelles que soient leurs configurations, ont à apporter. Grandir, c'est prendre le pari que tout ne se passe pas comme je le veux ; c'est accepter que les autres sont autres précisément parce qu'ils grandissent tous à leur rythme. Grandir dans la patience, c'est aussi affronter le risque des croissances difficiles, des moments de crise, voire d'échec. Grandir, c'est aussi pouvoir vivre les saisons d'hiver, la solitude de la graine qui à certains moments, doit croître seule. Mais c'est surtout reconnaître qu'on ne grandit vraiment que par la présence secrète et mystérieuse de proches qui nous font le don de leur patience. Offrir sa patience à l'autre, c'est donc le respecter avec délicatesse et douceur. C’est l’accompagner sans juger. Offrir sa patience à l'autre, un conjoint, un parent, un frère, une sœur, un ami, c'est le laisser grandir en lui offrant le temps de sa germination. A force de vouloir un rendement humain immédiat, combien d’entre nous ne savent plus offrir le temps et la patience aux autres, même à ceux qu'ils aiment !
Oui, la patience —et l’étymologie du mot le suggère bien— est ce qui permet d’endurer, et donc de durer. Il s’agit de voir le temps qui passe non comme une menace, mais comme un lieu de surprise et de révélation. Une telle patience ne se base sur aucune connaissance, sur aucun modèle, sur aucune science. La patience passe science dit le dicton ! Loin d’être une forme de résignation, elle est finalement l’art d’espérer en l’humain, une démarche de confiance qui adoucit les difficultés, sans offrir de remède.
Quelle que soit notre histoire familiale, nous sommes toutes et tous inscrits dans une famille qui nous précède. Et si, comme l’écrit Saint Jean, notre cœur nous accuse parce que nous croyons être en décalage, nous ne le sommes pas par rapport à Dieu. Car nous sommes tous ses fils et filles adoptifs.
Quelles que soient les joies et les blessures de nos existences familiales, une famille plus grande nous précède. A nous d'y entrer, avec patience, à notre rythme, dans cette famille où tout le monde trouve sa place. Amen.