Voilà une fête bien catholique. Ce n’est pas tut le monde qui croit en la communauté des saints. Il faut tout d’abord croire en une vie après la mort. Et ça, ce n’est pas évident. Les Grecs comme les Romains n’y croyaient pas. Ils croyaient qu’après la mort, nous serions réduits à l’état de vapeur d’eau inconsistante. Vous vous souvenez quand Enée a voulu saluer son père, le roi Priam, mort à Troie. Enée descend aux enfers. Il croise l’âme de plusieurs morts. Il reconnaît soudain son père. Il se précipite vers lui pour l’embrasser, mais il passe à travers lui. Priam, le roi Priam, n’était plus qu’une vapeur d’eau inconsistante qui traînait de misère et d’ennui dans le monde lugubre des ténèbres. Nous, non, nous croyons en l’Eglise glorieuse du ciel.
Mais pas dans une Eglise glorieuse où tout serait fondu et il ne resterait plus rien de personnel, comme l’enseignent certaines religions orientales. Pour ces religions, après des dizaines et des dizaines de réincarnations, l’âme serait enfin purifiée et elle pourrait rejoindre le nirvana où elle disparaîtrait. L’âme disparaîtrait comme une goutte d’eau dans le magma informe et indéfini. Or s’il y a bien une chose que nous avons apprise grâce à Jésus-Christ, c’est que chacun d’entre nous, nous sommes uniques. Il y a à l’intérieur de notre cœur, de notre esprit, un noyau dur que rien ne peut détruire, ni même adoucir. Si Roméo et Juliette avaient vécu quelques années ensemble, ils se seraient bien vite rendus compte qu’ils sont tous les deux fort différents, et que Roméo restera toujours Roméo avec ses chaussettes qui traînent dans la chambre à coucher.
Nous croyons donc que nous sommes uniques et que nous le resterons après la mort. Nous croyons aussi que nous ne sommes pas seuls et que nous sommes unis les uns aux autres par un profond sentiment de solidarité. Nous prions les uns pour les autres. Mêmes les damnés prient pour nous. Vous vous souvenez de l’histoire de Lazare et de l’homme riche. Que fait l’homme riche quand il brûle en enfer ? Il prie Abraham de le délivrer de cette géhenne. Comme ça ne marche pas, il prie Abraham d’envoyer Lazare chez ses frères pour les mettre en garde. Oui, mêmes les damnés prient pour nous.
Et c’est là sans doute l’une des plus belles leçons que nous puissions retenir de cette fête de la Toussaint. Nous ne sommes pas seuls. Des chrétiens prient pour nous, des chrétiens vivants maintenant, mais aussi des chrétiens morts et qui sont auprès de Dieu. Et ces chrétiens sont vivants non pas parce que nous pensons à eux, mais parce qu’ils prient pour nous. Alors nous aussi, brisons les murailles de notre isolement et ouvrons nos oreilles à la mélodie d’amour et de tendresse que la création tout entière murmure chez les vivants comme chez les morts. Offrons-nous les uns les autres ce que nous recevons déjà, la prière que les vivants comme les morts offrent à chacun d’entre nous.