Veillée pascale

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

"Mais qui donc roulera la pierre ?

Nous sommes souvent impuissants devant la misère généralisée dans le Tiers-Monde, les pauvres de chez nous devenant de plus en plus pauvres, devant aussi les lois implacables de l'économie et la crise qu'elles engendrent ; Interrogeons très librement aujourd'hui les apôtres et les amies de Jésus face à leur sentiments d'impuissance ! Lourde est la pierre que plusieurs musclés anonymes ont roulée à l'entrée du tombeau. Quelques femmes regardent, muettes, meurtries, révoltées de ce qu'on enterre Jésus à la sauvette, comme un chien.

Les apôtres ne sont pas là, ils se terrent comme des chiens battus. La pierre est lourde qui écrase leur espérance : les Romains et Hérode restent les maîtres du jeu ; les grands-prêtres et leur clique continuent leur trafic au Temple ; les impôts, la répression, l'exclusion : rien n'a changé ! Et eux qui se sont mis debout aux paroles de Jésus, eux qui l'ont vu remettre d'aplomb nombre de tordus, paumés ou mal-foutus, eux qui se sont rêvés ministres dans le Royaume : voilà que tout s'écroule. Une fois de plus c'est "todi les petits qu'on spoctche". (Ce sont toujours les petits qu'on écrase).

La pierre est lourde qui cadenasse leur impuissance. Elle est lourde de leur colère rentrée, de la rage qui les ronge de ne pas pouvoir être hurlée. S'ils pouvaient seulement se venger ! De Pilate, le grand couillon ; des salauds de sadducéens et autres pharisiens ; de la foule qui a retourné sa veste ; de Judas le traître, l'ordure... Mais toute résistance est vaine, il ne reste que le ressentiment et l'envie de faire secte... La pierre est lourde qui les fait butter et tomber dans l'incompréhension, peut-être même la colère : "Jésus n'a été qu'un prometteur de royaume, un messie de pacotille, un marchand d'illusions ! Il nous a trompés, mais Dieu ne s'est pas trompé, qui l'a abandonné.

La pierre est lourde qui les mûre dans la culpabilité. Pierre n'est pas fier d'avoir renié Jésus : à chaque chant du coq, la honte lui monte au visage. Les autres apôtres se sont taillés comme des lapins : ils n'osent croiser le visage des femmes, car ils croient y lire comme un reproche. Qui leur permettra de se regarder à nouveau dans un miroir ? Jésus n'est plus là pour les réconcilier avec leur coeur.

"Qui donc nous roulera la pierre ?" se demandent Madeleine et les autres femmes. Les apôtres ne sont pas là, en ce matin du premier jour de la semaine pour leur répondre et les aider : leur espérance est trop morte. Elles ont pris des aromates car elles veulent au moins enterrer Jésus comme un homme, avec un peu de dignité, lui qui les a fait naître à leur dignité de femmes. Elles viennent, sans savoir qui roulera la pierre de tristesse qui les accable...

Et voilà que la pierre est roulée. Il n'y a pas eu de bruit. Et voilà que le tombeau est vide... Elles sont perdues. Peut-être restaient-elles trop attachées au corps de Jésus ? Peut-être devaient-elles naître à leur dignité dans la perte de celui qu'elles aimaient ? Elles s'enfuient et courent annoncer aux apôtres... "bobards de femmes" répondent-ils. Mais la chenille de l'espérance a secrètement installé sa chrysalide sous la pierre de leur incrédulité. Plus tard, au bout d'un deuil qui ne leur rend Jésus que dans le pain partagé avec un étranger, les apôtres verront le papillon rouler les pierres qui les écrasent et ouvrir ses ailes multicolores au souffle de la Pentecôte.