On a un peu l’impression que cette phrase s’adresse à des gens d’une autre époque, une époque où tout le monde tremblait de peur devant un Dieu juste et sévère, une époque où les prédicateurs décrivaient les flammes de l’enfer pour que les gens se convertissent. Bref, une époque où les gens étaient écrasés par une autorité lourde et étouffante. Comment pouvait-on être heureux dans un tel climat infantilisant ?
Heureusement, nous sommes devenus des adultes, libérés de ce lourd carcan culpabilisant. Nous sommes sortis dans la lumière de la liberté et de l’autonomie. Mêmes les enfants sont appelés à vivre comme de petits adultes. Ils doivent choisir et ils doivent assumer leur choix. Quelle lourde responsabilité que celle de vivre aujourd’hui. Il faut sans cesse choisir : un appartement ou une maison, la ville ou la campagne, la voiture ou les transports en commun, etc. Et tous ces choix nous engagent pour des longues années, comme lors de l’achat d’une maison, et cela dans un climat d’incertitude. Que ferons-nous demain ? Y aura-t-il encore du travail ? Qui paiera nos pensions ? Alors, oui, c’est toujours facile pour un voisin, pour un cousin, ou même pour un conjoint de nous dire après-coup : « tu n’aurais pas dû faire cela, tu aurais dû penser à ceci, tu aurais pu faire autrement ». Alors on peut réagir de plusieurs façons. On peut être tétanisé, paralysé par la responsabilité du choix : on n’ose pas, on n’ose plus s’engager. On le voit, on l’entend chez certaines jeunes gens : pourquoi se marier ? A cela s’ajoute l’entrée dans la vie professionnelle avec le choc que cela peut représenter.
Par contre, quand on arrive à la fin de la vie professionnelle ou lorsque les enfants sont partis et connaissent les premiers gros échecs dans leur propre vie, on commence à faire le bilan et on se pose des questions : pourquoi mon fils fait-il toujours les mêmes bêtises ? Pourquoi manque-t-il donc de bon sens ? De qui tient-il cette propension à se tromper d’une telle façon ? Alors on pourrait accumuler les reproches contre son entourage ou son propre conjoint. Je vous laisse imaginer ce que cela peut donner. On pourrait également ruminer les échecs que l’on a subis ou les erreurs que l’on a commises. Ou bien on pourrait décréter qu’on a fait ce qu’on a pu, et malheur à celui qui viendrait nous faire des reproches. On risque de devenir comme ces solitaires, ces vieux sangliers qui, après avoir été le chef de la harde, en ont été exclus et qui circulent dans les bois, prêts à attaquer tous ceux qui voudraient les approcher. Oui, nous sommes parfois les plus durs juges sur nous-mêmes : nous n’avons pas été ce que nous aurions voulu être, et la situation dans laquelle nous vivons nous le rappelle assez.
Mais voilà que la grâce du carême nous invite à changer de regard, à lever nos yeux qui sont rivés sur notre petite existence. Redevenons comme ce petit enfant, occupé à un jeu de construction. Il essaie de construire une petite maison avec de petits blocs de bois, mais leurs mains maladroites empilent mal les éléments de cette construction. Les murs sont de travers et la maison s’écroule. C’est la catastrophe. C’est le désespoir. Alors l’enfant lève les yeux et rencontre le regard de sa mère. Ce n’est pas un regard de mépris ou de colère. C’est un regard de confiance qui ouvre sur l’avenir. « Recommence, nous dit-elle, tu n’es pas un échec, tu vaux beaucoup plus que cela. » Laissons-nous transfigurer par le regard de confiance que Dieu pose sur nous, car il n’est pas venu pour juger, il est venu nous sauver de notre passé, de tous les jugements qui peuvent peser sur nous.