Voilà que Jésus est ému, saisi par la crainte de mourir. Comment Dieu peut-il avoir peur ? Comment peut-il douter ? Cela paraît être un moment de faiblesse. Comment Dieu peut-il connaître un moment de faiblesse ? C’et de genre de phrases dans l’Evangile qui a jeté beaucoup de chrétiens dans de mauvaises interprétations.
Les premiers ont dit que c’était la preuve que Jésus n’était pas vraiment Dieu. Oui, Jésus fut un homme remarquable, un grand prophète, il a accompli de grands miracles, mais non, il ne peut pas être le fils de Dieu, égal à son Père. C’est la raison pour laquelle le crédo de Nicée-Constantinople, le long crédo que nous pouvons réciter tous les dimanches, est beaucoup plus long est plus explicite que le symbole des apôtres, qui est beaucoup plus court. Le symbole des apôtres, qui a été composé à Rome vers 150, parle tout simplement de « Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la vierge Marie », tandis que le crédo de Nicée-Constantinople, qui date de 381, deux siècle plus tard, insiste lourdement sur l’origine du Fils de Dieu : « je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, il est Dieu, né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu, né du vrai, engendré, non pas créé de la même nature que le Père ». Vous avez remarqué : on dit tout d’abord qu’il est le fils et tout de suite après on ajoute qu’il est né du Père. C’est dire deux fois la même chose. Et après cela on ajoute qu’il est engendré. Fatalement, s’il est né, c’est qu’il fut engendré. Pourquoi insiste-t-on si fort sur la génération ? C’est parce que l’enfant est de la même nature que ses parents. Une vache engendre une vache, un homme enfante un homme. Si le Christ a été engendré par le Père, il est de la même nature que le Père. Cela vient d’une terrible hérésie qui a éclaté au quatrième siècle. C’était après les persécutions. Tout le monde pensait qu’on pourrait prier célébrer librement sa foi, mais voilà qu’un prêtre d’origine libyenne, Arius, annonçait triomphalement que Jésus n’était qu’un homme, et n’avait rien de divin en lui. Cette hérésie prit le nom de son auteur, l’arianisme. C’était d’ailleurs plus logique. Il n’y a qu’un Dieu et qu’une personne divine. Quelle est cette aberration de croire qu’il peut y avoir trois personnes et un seul Dieu ? Cela n’a rien de logique, ni de rationnel. Et c’est ce que les juifs comme les musulmans croient : un seul Dieu, une seule personne.
Mais qui décide de la nature divine ? Qui peut dire qui est Dieu et comment il est ? Ce n’est pas moi, ce n’est pas vous. C’est Dieu qui est comme il est, et c’est à nous d’accueillir Dieu comme il est. Autrement, pour reprendre les paroles de Voltaire : « Dieu a créé l’homme à son image, et l’homme le lui a bien rendu », en ce sens que nous voulons créer un Dieu qui nous convienne. C’est le même problème dans une famille ou dans une communauté : non, je ne suis pas comme tu le veux, ou comme cela t’arrange, je suis comme je suis et il faut faire avec.
Mais il y a quelque chose de plus beau encore : Dieu dépasse infiniment notre imagination. Certains chrétiens ne pouvaient admettre que Dieu incarné ait pu avoir mal aux pieds ou aux dents, que Dieu petit enfant ait pu salir ses langes et connaître la fièvre, la soif et la faim. Dieu doit être au-dessus de tout cela. Eh bien, non ! Dieu a voulu vivre tout cela pour que chaque instant de notre vie soit transfiguré, transformé par sa présence. La vie humaine n’est plus une forme de vie animale ; elle est devenue une forme de vie divine. Tous nos sentiments ont été transfigurés, sanctifiés parce que le Christ les a éprouvés.
Et c’est cela qui a bouleversé les vrais croyants : Jésus a ressenti lui aussi la peur devant la mort, il a ressenti lui aussi une forme humaine de découragement. Mais il en est sorti vainqueur par sa mort et sa résurrection, mais aussi déjà par son incarnation. Notre corps est divin parce que Dieu l’a assumé dans toute son étendue. Retrouvons donc notre véritable dignité, non pas celle d’animal raisonnable, mais d’enfant de Dieu déjà transfiguré.