L’évangile d’aujourd’hui a l’air tout joli et tout mignon. Il nous invite à accueillir les enfants au nom de Jésus. Quoi de plus naturel ! C’est joli, un enfant, ça chante et ça rit tout le temps, surtout pendant la nuit à deux heures du matin quand il a mal au ventre, ou bien le soir quand il se met à pleurer parce qu’il est fatigué, mais qu’il ne veut pas aller se coucher. Il faut se méfier d’une image un peu trop idyllique de cet évangile. Il faut se poser la question de savoir ce que cela veut dire accueillir un enfant au nom de Jésus ? Pourquoi cette précision « en mon nom » ?
C’est qu’il ne faut pas oublier qu’il ne fait pas bon vivre pour les enfants dans l’Antiquité. Saint Augustin écrit dans la Cité de Dieu qu’il préférerait mourir plut^to que de recommencer son enfance (21, 14). Car les enfants étaient très sauvagement punis dans l’Antiquité. On le voit sur les fresques et sur les stèles : quand on présente un enfant, il y a toujours un adulte, son professeur, qui est là présent avec un bâton à la main. Et vous connaissez le vieux dicton latin : pueri ducuntur ab extremo tergo, c’est à partit du bas du dos qu’on éduque les enfants. Et en grec, ce n’est pas mieux : c’est le même mot qui veut dire punition et éducation, paideia. Les enfants sont donc à cette époque des êtres sans défense, turbulents, qu’il faut mater avec sévérité.
Et voilà que le Christ nous invite à les accueillir en son nom. Quand il dit cela, c’est pour répondre aux manœuvres ambitieuses de ses disciples. Ils se demandaient qui serait le plus grand, c’est-à-dire qui serait ministre dans le nouveau royaume créée par Jésus. Et c’est normal : nous sommes tous en train de nous comparer. Les enfants veulent avoir la dernière version du smartphone parce que tous leurs copains en ont une, les hommes veulent avoir une plus grosse voiture que leurs voisins, et les femmes une plus belle robe que leurs copines. Même entre curés, il y a parfois une forme de concours : c’est à celui qui a le plus de monde à la messe, ou qui aura entendu le plus de confessions pendant toute l’année. On a tous besoin de choses concrètes, matérielles pour se rassurer et pour pouvoir dire qu’on a bien travaillé, qu’on a bien prié.
Et voilà que le Christ nous place à un autre niveau de concurrence, celui de la générosité désintéressée. Accueillir un enfant pour lui, c’est accueillir quelqu’un qui n’a pas de quoi rembourser le bien qu’on lui a fait. C’est comme les aumôniers dans les hôpitaux : ils vont rendre visite à des malades qui sont gorgés de calmants et qui ont du mal à réfléchir et à parler. C’est comme les bénévoles qui vont dans les résidences pour rendre visite à des personnes âgées qui perdent espoir et qui répètent vingt fois les mêmes histoires. C’est comme les moniales qui prient dans leur monastère et qui ne voient pas le résultat de leurs prières et pourtant la ville tout entière est touchée par cette lumière, justement parce que c’est un foyer de prières.
La grandeur d’un homme ne se mesure pas à la taille de sa voiture, ni à l’épaisseur de son coffre-fort. La grandeur d’un homme se mesure à l’amour que Dieu lui donne et qu’il est prêt à recevoir. Oui, nous sommes beaux quand Dieu nous aime. Nous sommes grands quand nous aimons ceux que personne n’aime et que nous leur rendons leur véritable dignité, celle d’enfants de Dieu.