Bienvenue au club des réprouvées, des méprisées, des exclues. Voilà comment on pourrait présenter cette rencontre entre Elisabeth et Marie. Toutes les deux sont susceptibles d’être rejetées par la société et même par leur famille. Prenons tout d’abord Elisabeth. Elle est stérile. C’est ainsi que les gens l’appellent. Elle pourrait être répudiée par son mari car une femme, c’est fait pour avoir des enfants, et des garçons si possible. Si elle n’est pas capable d’en avoir, elle peut être répudiée.
Cela s’est fait dans les cours royales. Et, si son mari la garde, il pourra toujours bien lui faire sentir que lui il a fait cet effort de la garder alors qu’elle est inutile. Parce que tout ce que peut faire Elisabeth, c’est s’occuper du ménage. Or, tout le monde le sait, une femme au foyer, c’est n’est pas un vrai métier. Son mari pourrait bien lui faire sentir que c’est par générosité qu’il l’a gardée. Il pourrait le faire sentir par des reproches ou même par des silences. Et les gamins dans la rue, cruels comme ils sont, ils sont capables de courir autour d’Elisabeth et de chanter : « Ouh, la stérile, c’est la stérile » et ainsi de suite. Et, si son mari la répudie, pourquoi sa famille la reprendrait-elle chez elle ? Elle ne pourra jamais se marier. Pourquoi un homme épouserait-il une femme qui ne peut pas donner d’enfant ? Si au moins elle était veuve, on pourrait la plaindre. Mais non, elle est stérile. Son ventre est vide. Parce que, bien entendu, c’est sa faute. La stérilité, c’est toujours à cause de la femme, jamais de l’homme. Il ne lui reste plus qu’à mendier ou à se prostituer, mais Elisabeth est bien vieille pour faire cela.
Ce n’est pas le cas de Marie, parce que Marie, elle aussi, est dans une situation bien embarrassante. Une fille-mère, vous imaginez cela. Pour pouvoir s’en rendre compte, il faut se rappeler comment c’était il y a cinquante ou cent ans. Une fille-mère, quelle honte ! Et surtout quelle honte pour la famille. Qui voudrait garder une fille pareille à la maison. Et qui voudrait épouser une fille qui a déjà un enfant et qui n’a pas été capable d’attendre le mariage pour aller avec un homme ? Comment peut-on avoir confiance en une fille pareille ?
Vous le voyez : la situation de ces deux personnes est dramatique. Non seulement, elle risque de mourir de faim, mais en plus elles ne connaîtront que le rejet, le mépris et l’hostilité ouverte de tous les voisins. Avec quel plaisir et quel satisfaction de respecter les règles morales, les hommes et les femmes du village n’iront pas jusqu’à insulter ou humilier publiquement cette vieille femme stérile et cette jeune fille-mère. Car les gens ne parleront plus jamais d’Elisabeth, mais de la femme stérile. Ils ne parleront plus de Marie, mais de la dévergondée. Et cela arrive si souvent que, lorsqu’on parle de quelqu’un, automatiquement on pense à une erreur du passé. Si on parle de Gérard, par exemple, on dira aussitôt : « ah oui ! L’ivrogne ! », ou bien si on parle de Bernadette, on se rappellera aussitôt qu’elle s’est droguée pendant un certain temps. Les hommes et les femmes sont comme marqués au fer rouge des fautes du passé. Ils ne sont pas encore morts qu’ils sont déjà enterrés avec une épitaphe peu glorieuse.
Et ce sont des gens comme cela que Dieu a choisis pour venir parmi nous. Ce sont des gens comme Matthieu, un fonctionnaire corrompu, ou Pierre, un pêcheur pas très malin, que Jésus a choisis pour le suivre et c’est même à Marie-Madeleine que Jésus ressuscité apparaîtra en premier. Il y a des regards qui tuent, il y a des silences qui écrasent. Remercions Dieu pour tous et ceux toutes celles qui nous ont fait confiance, qui nous ont relevés de la tristesse et du désespoir. Et remercions d’être venus nous chercher pour vivre avec lui pour l’éternité.