Sainte famille

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 30/12/18
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : C
Année: 2018-2019

Cela paraît toujours un peu ridicule de célébrer la famille de Nazareth comme la Sainte Famille, c’est-à-dire comme le modèle de la famille chrétienne.  Il y a déjà quelque chose d’un peu humiliant pour les hommes d’avoir pour modèle saint Joseph.  Je ne suis pas sûr qu’il soit vraiment bon de recommander une jeune fille mère comme modèle aux jeunes filles d’aujourd’hui.  Vous me direz : « oui, c’est bien vrai, mais la Sainte Famille est exceptionnelle ». 

Oui, c’est vrai, elle est exceptionnelle, raison de plus pour ne pas en faire un modèle.  Pourquoi donner en modèle une famille qui n’est pas normale ? Mais c’est quoi, une famille normale, à notre époque ? Nous connaissons tous des divorcés qui ne sont pas des gens dépravés, loin de là.  Et même après leur divorce nous les gardons comme des amis parce que ce sont des gens formidables.  Leur divorce semble être un échec ou une erreur dans leur parcours.  On n’ose plus rien dire.  Un dimanche, après la messe, je salue une dame et je la félicite pour la beauté de ses enfants.  « Oui, dit-elle, ils sont fort jolis, ces enfants, mais ils ne sont pas de moi, ils sont de mon compagnon ».  On n’ose plus rien dire !

Et pourtant je crois dans les vertus de la monogamie et de la fidélité, mais je me dis que la vie de couple n’est pas le but ultime de la vie.  La preuve, c’est que je suis prêtre et religieux, et qu’une vie d’amour peut être vécue dans le célibat, une vie d’amour avec Dieu dans mon cas personnel.  A l’inverse, nous voyons parfois certaines familles tellement repliées sur elles-mêmes qu’elles en deviennent stériles et étouffantes.  Cela nous rappelle que l’amour conjugal comme le célibat ne sont pas des fins en soi, mais que ces états de vie nous ouvrent sur une réalité plus grande encore.

Dans un couple, les conjoints apprennent à se connaître et à se découvrir.  Ils apprennent aussi à se pardonner l’un l’autre et à recevoir l’un de l’autre le pardon.  Il faut pouvoir dépasser les reproches, parfois justifiés, et les rancunes pour pouvoir vivre encore ensemble.  Il faut même pouvoir dépasser tout cela pour trouver une nouvelle raison de vivre ensemble.  Et cette raison doit être plus belle et plus profonde que simplement l’attirance, la séduction ou le plaisir d’être ensemble.  Vous me demanderez de quel droit je peux parler ainsi.  Je vous répondrai que c’est parce que je suis religieux et que je vis en communauté.  L’amour de Dieu, c’est bien d’en parler ; mais vivre l’amour des frères, c’est autre chose. 

L’expérience quotidienne du partage et de l’amour sans cesse renouvelés nous permet d’imaginer l’ampleur de l’amour de Dieu pour chacun d’entre nous.  Que Dieu pardonne nos petites faiblesses et nos petites mesquineries de tous les jours, c’est une chose.  Mais que l’amour de Dieu puisse se renouveler sans cesse, comme il le fait, c’est-à-dire depuis le premier péché d’Adam jusqu’à la crucifixion du Christ, c’est étonnant et cela nous sert de modèle dans notre vie de famille et de communauté. 

Mais il y a une chose plus belle encore dans la Sainte Famille : c’est la gestion de l’amour.  Chaque personnage, Jésus, Marie, Joseph, occupe une position particulière dans la production et la répartition de l’amour.  Marie est la mère de Jésus, elle est donc la productrice de cet amour.  Joseph est le père nourricier, il est donc celui qui permet à cet enfant de vivre, de se nourrir et de grandir.  Ce sont là deux défis qui nous sont lancés.  Le premier est d’être capables de dire des mots qui produisent la vie.  Ce sont des paroles de réconfort, de confiance, de tendresse.  Le deuxième défi, c’est celui de permettre à l’autre d’exprimer sa véritable nature amoureuse, comme Joseph l’a fait avec Jésus, ce fils étranger et pourtant porteur de promesses.  On a écrit que c’est Mozart qu’on assassine, on pourrait également écrire que c’est Jésus qu’on assassine dans le rejet d’une parole de réconciliation ou de bienveillance de la part d’une personne qui nous est proche.  Certains essaient de parler à table, mais on les écrase.  D’autres essaient timidement t’entrer en contact avec nous, mais on les balaie. 

Alors la fête de la Sainte Famille nous appelle à jouer chacun de ces trois rôles à des moments différents : exprimer de l’amour comme Jésus, donner vie à l’amour comme Marie, ou rendre cet amour possible comme Joseph.