La transfiguration
Ce texte qui relate selon Luc le récit de la Transfiguration est très construit. C’est tellement une œuvre emplie de symbolique juive et chrétienne, de liens avec d’autres parties du nouveau et de l’ancien testaments – tellement pleine d’un sens presque graphique – que la tentation est forte de le lire comme tel : un texte purement symbolique.
Je relève quelques références :
- la montagne qui indique l’élévation vers Dieu ;
- l’aspect lumineux du Christ qui fait référence à la celui de Moïse quand il redescend d’avoir été auprès de Dieu, au Mont Sinaï ;
- la présence de Moïse et d’Elie qui symbolisent l’accomplissement de la Loi et de l’Annonce : deux symboles de la Bonne Nouvelle ;
- la voix de Dieu qui est la même que celle entendue au baptême ;
- la référence à la fête juive des Tentes – Succot – où on célèbre, à la fois, l’assistance prodiguée par Dieu au peuple d'Israël pendant l'Exode et la fin des moissons. Ainsi, on fête non seulement la fin de l’errance au désert, mais également la récolte des fruits de la Terre promise.
Donc, en pleine connexion avec les écritures et la tradition d’Israël, Luc aurait imaginé ce récit comme une mise en abîme de la Résurrection avant qu’elle ne se produise effectivement : un processus littéraire qui prépare le lecteur à ce qui va suivre, en lui donnant certaines clés de lecture.
Et c’est peut-être le cas.
On conclut alors que ce passage fonctionne comme une image, un enseignement illustré donné par Luc. En réalité, il ne s’est rien passé ; Pierre, Jean et Jacques n’ont observé aucun phénomène : jamais Jésus ne leur est apparu physiquement transfiguré ; le récit anticipe simplement la résurrection des corps par une image forte et concrète certes, mais inventée. Il n’y a effectivement aucune voix qui soit venue du Ciel sur quelque montagne que ce soit ; encore moins d’apparition de Moïse et d’Élie. Finalement ce récit fonctionne comme une expérience de pensée qui nous parle de l’au-delà de la mort.
Je le redis, vous pouvez croire cela : que ce passage est une image – certes belle et parlante – mais juste une image.
Maintenant, partant du principe que, là où l’herbe est plus verte, le ciel est aussi plus bleu, on peut aussi interpréter ce passage comme le récit de la vision des disciples de Jésus en prière. Sans doute savez vous que le bonheur et la joie changent notre regard sur le monde ; que vous voyons effectivement les couleurs de manière plus éclatante lorsque nous sommes heureux. C’est un phénomène qui s’étudie. A l’inverse, peut-être hélas savez-vous que, plus tristes, plus déprimés, nous voyons effectivement les couleurs plus ternes ; que notre esprit tinte notre vison selon notre humeur. Là où l’herbe est plus verte, le ciel est aussi plus bleu et, à voir la profondeur paisible de la prière du Christ, à observer la sérénité de l’intime cœur à cœur du Fils avec son Père, la scène apparaît effectivement plus rayonnante à mesure de la joie qu’elle communique au cœur des apôtres. Au fond, il s’agit de traduire ici que le Christ, à mesure que nous l’observons en Dieu, nous apparaîtra effectivement de plus en plus lumineux.
Dans cette interprétation, toute aussi valable que la première, le récit est déjà moins imaginé pour acquérir une épaisseur concrète : il parle déjà d’un fait : voir la prière, observer la profondeur spirituelle illumine notre regard. Vous l’avez sans doute déjà toutes et tous remarqué, certains lieux spirituels, certaines personnes qui prient nous semblent avoir une luminosité, une aura spéciales.
Une troisième lecture est de dire que le corps du Christ s’est effectivement trouvé changé, qu’il a été lui-même physiquement transformé par la prière. On s’approche plus alors du sens littéral grec du mot « Transfiguration », c’est-à-dire celui de « métamorphose ». Le Christ s’est littéralement métamorphosé sous les yeux de Pierre, Jean et Jacques. Son corps a effectivement changé de forme sous l’effet de la prière. Quelque chose s’est modifié, non seulement dans le regard de ses disciples, mais en lui, Jésus s’élevant vers Dieu.
C’est sans doute l’interprétation la plus difficile à recevoir de nos jours : les corps qui changent de formes sous l’action de l’Esprit, ça bouscule notre raison scientifique. On touche effectivement au mystère et à l’inexplicable rationnellement. Mais ce principe d’action de l’Esprit sur la matière, d’une prière efficace qui effectivement transforme celui qui prie, nous devons le maintenir sinon nous ne pouvons plus croire aux guérisons spirituelles, ni même à la résurrection des corps.
Finalement, dire que ces trois interprétations du texte sont acceptables n’est-ce pas contradictoire ? Dire que c’est un récit totalement imagé ou dire que le Christ s’est transformé sous le regard de ses disciples, ce n’est tout-de-même pas la même chose ? Soit il s’est effectivement passé quelque chose, soit c’est un récit inventé – certes pour édifier – mais un récit imagé ...
Plutôt que de contradictions, je parlerai de niveaux d’interprétation.
A proprement parler tous ces récits fonctionnent comme autant d’image de ce qui va nous nous arriver : de notre propre vie spirituelle, de notre propre transformation par la prière, de notre propre transfiguration et notre propre Résurrection. Il n’y a, évidement, que par des images que nous pouvons communiquer sur ce que, spirituellement, nous éprouvons au plus profond de nous-mêmes. Il s’agit ici essentiellement de textes et la vie spirituelle c’est bien plus que des mots.
Mais nous ne pouvons pas déconnecter tous ces récits d’une réalité effective dont ils témoignent vraiment. Nous ne pouvons pas, parce qu’ils parlent de choses extraordinaires, dans des codes littéraires aujourd’hui moins compréhensibles, leur dénier toute effectivité, les reléguant systématiquement au rang d’allégorie. Parce que, si les phénomènes extraordinaires que relate la Bible n’ont le sens que d’allégories, alors aucun miracle de Dieu ne pourra nous atteindre.
Chaque niveau de compréhension de ces récits très imagés et très construits pour dire la réalité spirituelle est une voie d’accès possible vers la compréhension de notre propre transfiguration en Christ : soit que ce récit préfigure notre propre résurrection ; soit qu’il parle du regard que posent les autres sur nous quand nous rayonnons de Dieu ; soit qu’il participe effectivement à notre propre transfiguration.
Je vous laisse choisir le niveau de compréhension qui vous correspond ; l’important c’est que finalement nous nous soyons transfigurés.