Jeudi Saint (année C)

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 18/04/19
Temps liturgique: Temps du Carême, Triduum pascal
Année liturgique : C
Année: 2018-2019


« Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »

Plus tard, tu comprendras. Voilà ce que bien des parents ou grands-parents —parfois embarrassés— disent à leurs enfants, ou petits enfants, lorsqu’ils ne savent pas répondre ou ne veulent pas se justifier. Plus tard… Voilà aussi ce que ceux qui ont un peu d’expérience affirment à ceux qui essaient d’apprendre, comme pour les rassurer. Plus tard… tu comprendras… Dans cette page d’Évangile, Pierre n’a pas les clés ! Il n’a pas toutes les clés, toutes les données pour comprendre l’instant, le tragique du moment, pour percevoir la profondeur du signe que Jésus est en train de poser. Pierre peut à la rigueur envisager que Jésus se dirige vers la mort, comme il l’a annoncé à plusieurs reprises, mais il ne peut comprendre la profondeur du geste.

La logique de Pierre est bien souvent la nôtre. Elle est celle avec laquelle nous regardons parfois notre vie. Avec nos yeux, pas ceux de Dieu. Nous croyons savoir…alors que bien souvent, nous ne savons pas croire. Nous voulons comprendre d’abord… et non faire confiance, pour comprendre ensuite…

Par cet exemple du lavement des pieds, Jésus nous invite à aller au-delà de toute notre logique de compréhension et de maîtrise.
Laisse-toi faire, plus tard tu comprendras.
Laisse-toi être aimé, tu verras ensuite quel amour tu peux offrir !

C’est cela l’intelligence du cœur, une intelligence ouverte au monde,
à l’inconnu. Cultiver l’intelligence du cœur, c’est se laisser instruire par Dieu. C’est accepter que la clé de compréhension de ce que nous sommes nous dépasse et se trouve inscrite au cœur de Dieu.

Cultiver cette intelligence du cœur, c’est découvrir en soi cette capacité à déposer sa vie. « C’est un exemple que je vous donne, pour que vous compreniez ». Quand Jésus dépose ses vêtements et dépose sa vie pour ses amis, le terme est exactement le même. Quand Jésus dépose ses vêtements, il exprime le don complet de sa vie jusqu’à la mort, jusqu’au bout. Jésus dépose ses vêtements, donne sa vie pour ses amis, pour l’humanité entière : pour ceux qui veulent le suivre, comme ceux qui se partageront ses vêtements sur le calvaire.  

Avons que la démaîtrise, le lâcher prise est tellement difficile…
Au-delà de nos résistances, acceptons-nous qu’un tel dévoilement, un telle démaîtrise se fasse sur nous-mêmes ? Non, tu ne me laveras pas les pieds.  Acceptons-nous notre propre vérité ou en avons-nous peur ? Finalement, voulons-nous de devenir ce que nous sommes ou souhaitons-nous nous accrocher à ce que nous ne sommes plus ?

Sur ce chemin de dénuement, l’Évangile nous invite à nous en remettre —non à nous-mêmes— mais à la folie de ce Dieu qui nous aime jusqu’au bout, jusqu’à la fin. Comment ? Peut-être en regardant ceux qui ont lavé nos pieds… c’est-à-dire ceux qui ont permis, et permettent, notre marche. Un conjoint, un proche, un ami, un simple rencontre. Autour de nous, il y a ces personnes visionnaires, ces rencontres prophétiques qui nous qui nous permis d’accepter notre nudité, notre fragilité… Toutes et tous, il nous arrive parfois de croiser de ces personnes qui nous ont compris « en avance ». Elles n’ont pas prédit notre avenir, mais elles nous ont offert des paroles bienveillantes qui se sont avérées par la suite dans notre histoire… Par de simples gestes, elles nous ont aimés, avant même que nous puissions les aimer en retour. Elles ont posé pour nous des exemples de dépouillement. Elles nous ont dit : « aie confiance, plus tard, tu comprendras ». Elles ont permis de lâcher prise, tout simplement, pour que nous reprenions paradoxalement prise sur notre vie. Elles nous ont vues avec une longueur d’avance. Et même peut-être sans que nous nous en rendions compte, elles nous ont aidés à nous dévoiler. Elle ont déposé un peu de leur vie en nous.

« Heureux êtes-vous, si vous faites ces choses » nous dit Jésus. Voilà la béatitude ultime. Heureux êtes-vous si vous déposez votre vie, si vous acceptez une telle démaîtrise sur votre histoire. Alors… vous comprendrez. Alors, l’échec pourra être traversé. Alors, vous verrez tout comme un don ! Et votre amour sera contagieux. « Heureux êtes-vous si votre amour véritable se fait vulnérable. Heureux êtes-vous si vous vous laisser toucher par les détresses du monde.

Aimer d’une telle manière, c’est finalement faire de sa vie une eucharistie. Dire à l’être aimé, par nos gestes : « Prends, ceci est ma vie, je te l’offre par amour. »