Dans l’Evangile de ce jour, le Christ nous invite à ne pas nous décourager et à prier sans cesse car, dit-il, nous serons toujours exaucés. Mais, malheureusement, nous le savons, ce n’est pas vrai. Voilà plus de trente ans que tous les jours je prie pour pouvoir devenir évêque et je ne suis toujours pas exaucé.
C’est que tout d’abord Dieu ne fonctionne pas comme une distributeur automatique de grâces et de bénédictions. Ce n’est pas avec une dizaine de chapelets qu’on guérit ou qu’on gagne au loto. Les étudiants le savent bien. Ce n’est pas en priant qu’on réussit un examen. Ce qui est plus grave encore, c’est quand nous vivons des situations très difficiles de conflit ou d’échec. Combien de fois n’avons-nous pas entendu une femme, un homme désespéré nous dire combien ils ont bien pu prier pour que leur mari cesse de boire, que leur femme s’arrête et reprenne la vie commune. Toute cette prière n’avait pas abouti et c’est la cruelle déception, l’immense incompréhension.
A quoi bon prier ? Peut-être le Christ nous invite-t-il à prier sans cesse pour que, après avoir encore et toujours répété la même chose, nous nous disions que peut-être ce n’était pas la bonne chose que nous demandions et qu’il fallait peut-être voir les choses autrement pour voir, entrevoir la bonne solution. C’est là toute la différence entre un enfant têtu qui crie tout le temps pour avoir la même chose, et un adulte réfléchi qui, après un échec, se demande s’il ne faut pas prendre les choses sous un autre angle.
Et sans doute qu’un autre angle d’approche, ce serait non pas celui que j’ai adopté, le mien, mais celui que nous deux ensemble nous pourrions adopter. Imaginez, par exemple, Roméo et Juliette au bout d’une dizaine d’années de mariage. Roméo est toujours fou amoureux de Juliette. Tous les soirs, il lui dit que ses cheveux sont blonds comme un champ de blé et que ses lèvres ont la couleur rouge des cerises et il lui dit, rempli d’amour et d’admiration : « chérie, tu ne veux pas aller me chercher une bière ? ». Il y a un problème : Roméo est vraiment amoureux, mais il se sert de Juliette comme d’une domestique. C’est toute une façon de vivre ensemble que Roméo doit revoir. De la même façon, quand nous disons que nous sommes chrétiens, c’est vrai : la preuve, c’est que nous sommes ici, en train de prier Dieu, mais est-ce qu’il est là, Dieu, simplement pour nous donner tout ce qu’on lui demande ? Est-ce que nous ne sommes pas ici pour vivre ensemble et bâtir ensemble une nouvelle histoire d’amour ?
Et c’est là tout le défi qui nous est lancé : quand Dieu vient parmi nous, ce n’est pas pour distribuer à chacun des postes de ministres dans son nouveau royaume, c’est pour que nous annoncions aux autres les merveilles de son amour. C’est ce que saint Pierre et saint Paul ont fait en quittant la Palestine pour se faire tuer à Rome. C’est ce que saint Dominique a fait en quittant son Espagne natale pour sillonner au péril de sa vie le sud de la France. Et c’est ce qu’ils nous apprennent aujourd’hui : c’est leur méthode de travail. Ils ne se sont pas dit : « qu’est-ce que j’ai envie de faire ? », mais : « qu’est-ce que Dieu attend de moi, maintenant, ici ? ». Et c’est cela la révolution que les chrétiens apportent dans la société d’aujourd’hui : apprendre à voir ensemble, Dieu et moi, Dieu et nous, comment faire aujourd’hui. Et pour cela il faut s’asseoir à la table des Ecritures et de l’Eucharistie pour voir comment Jésus a fait pour que nous aussi nous puissions faire comme lui. Et pour cela il faut prier, prier sans cesse, mais c’est tellement bon de pouvoir parler ainsi sans cesse à un ami, à un frère, à un Dieu qui nous écoute et qui nous éclaire.