30ème dimanche ordinaire (année A)

Auteur: Ignace Berten
Date de rédaction: 25/10/20
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2019-2020
Textes : 30ème dimanche ordinaire (année A)

L’évangile d’aujourd’hui nous interpelle sur la signification pour nous de l’amour du prochain, dont le commandement, dit Jésus, est semblable à celui de l’amour de Dieu. Nous savons que Jésus a illustré cette affirmation par la parabole du bon Samaritain que nous connaissons bien. Cette parabole, le pape François la développe longuement dans sa dernière encyclique, Fratelli Tutti.  Elle touche un point sensible de cette interpellation : l’accueil actif et généreux de cet étranger victime de violence. La liturgie souligne fortement cette dimension particulière en proposant en parallèle le texte de l’Exode : « Tu ne maltraiteras point l’immigré qui réside chez toi… car vous étiez vous-mêmes des immigrés en Égypte. » Le pape François ne cesse d’insister sur cette exigence d’accueil, ses paroles sont très fortes à cet égard. Il précise clairement les conditions d’un véritable accueil et il demande que les immigrés puissent devenir dès que possible des citoyens à part entière, avec droits et devoirs réciproques. Il interpelle ainsi vigoureusement la conscience politique de tous ceux qui se déclarent chrétiens : il s’agit pour certains de la nécessité d’une véritable conversion du cœur et de l’esprit.

Mon homélie d’il y a trois ans était consacrée à ce thème. Tout en soulignant combien cette interpellation est fondamentale, je voudrais aujourd’hui porter l’accent sur un autre thème, en raison de l’urgence et directement en lien avec ce que nous vivons à l’heure actuelle : la prise de conscience de notre fragilité. C’est sur cette fragilité que je veux ici méditer.

L’évolution du coronavirus est particulièrement inquiétante. Malgré les précautions, nous sommes tous menacés. Nous découvrons avec une certaine violence combien nous sommes fragiles comme personnes, mais aussi combien notre société est fragile.

Notre culture européenne, tout comme la culture nord-américaine qui en est un produit, est une culture de la maîtrise. L’être humain, avec une image essentiellement masculine, a la capacité et le devoir de maîtriser la nature à son service, il vise aussi une maîtrise toujours croissante de la santé, jusqu’à vouloir modifier l’humain : des recherches sont en cours pour contrôler l’ensemble des processus du vieillissement, jusqu’à vouloir exclure la mort.

Le choc de la réalité est brutal. De plus en plus en plus, il y a une évidence : si nous ne modifions pas profondément nos modes de production et de consommation, si nous ne réduisons pas fortement notre production de CO2, nombre de ressources pour nous vitales ne seront plus disponibles et le changement climatique rendra la planète invivable pour une très grande partie des populations. Nous devons nous faire une raison : nous ne sommes pas maîtres de la nature. La nature est fragile, l’équilibre de vie de la planète est fragile. Le pape François a lancé un cri d’alerte et une forte interpellation dans Laudato Si´. Il nous faut agir. Il y a urgence.

Mais la crise du coronavirus, la menace qu’il fait peser sur nous alors que nous n’arrivons pas vraiment à le maîtriser, ou pas encore espérons-le, nous manifeste notre propre fragilité comme êtres humains.

Oui, l’être humain est un être particulièrement fragile. Le bébé humain est le plus fragile de tous les mammifères. Il lui faut beaucoup plus de temps pour acquérir son autonomie. De plus, il ne peut se développer vraiment et s’épanouir que par un environnement relationnel porteur. L’être humain est essentiellement relationnel. L’autonomie est une qualité, elle permet la responsabilité personnelle. Mais l’individualisme, qui veut ignorer l’interdépendance relationnelle, dégrade la qualité humaine de la vie, tant la vie personnelle que la vie en société. L’Évangile ne cesse d’insister sur l’importance de relations vraies, portées par l’amour. Et parce que tous sont création de Dieu et image de Dieu, tous et toutes ont la même dignité : les relations humaines sont appelées à s’ouvrir à l’universel, cet universel qui inclut l’immigré et le réfugié, êtres profondément fragilisés par les circonstances de la vie et de la société.

Les relations elles-mêmes sont fragiles : la fragilité des familles en témoigne. Les relations et les engagements qu’elles suscitent demandent à être constamment cultivées avec attention, délicatesse, présence vraie à l’autre.

Mais la crise présente nous confronte davantage à une triple dimension de notre fragilité. D’une part, la fragilité de notre société dans son organisation et son fonctionnement, et en particulier de toute notre machine économique, avec tous les drames humains que cela entraîne en termes de faillites et de pertes d’emploi, et la fragilité de l’ensemble de notre système de santé, tellement négligé depuis des années. Ensuite, ce sont toutes nos relations qui se trouvent handicapées, limitées, bridées. Il en résulte isolement et beaucoup de souffrances. Les personnes âgées, d’un côté, et les jeunes, de l’autre, sont particulièrement atteints par cet isolement ou cette solitude forcée. Enfin, c’est la fragilité de notre santé en tant que telle, et celle qui s’exprime dans la limite inexorable de la mort. Nous sommes des êtres finis. Nous l’avons trop oublié. Nous savons aujourd’hui qu’au-delà des imprudences de certains, personne n’est à l’abri du virus et que la conséquence peut en être la mort.

Cette fragilité multiforme et notre finitude nous invitent à imaginer comment vivre autrement la fraternité dans ces circonstances : quelles formes de présence les uns autres, quel soutiens, quel services nécessaires ?

Mais aussi, quelles décisions politiques pour soutenir les plus faibles et les victimes de cette crise sans précédent ? Quelle solidarité, quelle acceptation de partage de la part de ceux qui ont plus en faveur de ceux qui ont le moins ?

Ici à Bruxelles, pendant un temps, nous allons de nouveau être privés de célébrations communes et publiques : quelles manières de faire en famille, peut-être aussi avec l’un ou l’autre voisin, ou simplement seul chez soi, pour alimenter la foi et continuer à donner une dimension de célébration, de présence relationnelle à Dieu, de prière pendant ce temps de confinement ?

Dans la foi, nous osons croire que Dieu ne nous abandonne pas. Il ne viendra pas résoudre à notre place nos problèmes, ni apporter les solutions politiques. Encore moins viendra-t-il miraculeusement nous préserver. Mais Dieu nous reste présent. Que la foi en cette présence maintienne ouverte notre confiance en la vie et anime notre force pour faire face ensemble à la situation qui nous bouscule tellement.