Maître, nous le savons: tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens.
Il y a quelque chose de particulièrement ironique dans ce texte, que la traduction que nous avons entendue ne rend pas. Les pharisiens disent de Jésus qu’il ne regarde pas l'apparence, le prosopon en grec, c’est-à-dire le personnage des gens ! C’est-à-dire, en fait, littéralement, tenez-vous bien… le masque… des gens. Maître, tu dis vrai, tu ne regardes pas le masque des gens ! Dans les pièces de théâtre de l’Antiquité, les comédiens avaient toujours un masque sur le visage. D’une part pour pouvoir interpréter plusieurs personnages dans une pièce, mais aussi pour pouvoir propager plus efficacement le son. Tu ne regardes pas le masque des gens ! C’est de là que viendra en français le mot personne : le mot personne —ou personnage— c’est d’abord étymologiquement le masque d’une personne. Quelle ironie dans ce texte ! Nous voyons donc des pharisiens, qui avancent masqués pour poser une question trouble à Jésus, et qui reconnaissent néanmoins en Jésus quelqu’un qui ne regarde jamais le masque social des gens, mais bien le coeur de l'homme!
Dieu, lui, voit ce qui se cache derrière nos masques… Il voit nos cœurs ! Etre vrai, n'est-ce pas dire ce que l'on pense, mais aussi et surtout, penser ce que l'on dit ! Plonger ce que nous disons d'abord dans l'intelligence du coeur ! Ne pas être dans l'émotion, la réaction, la contradiction... mais la vérité du coeur !
Vous le savez, notre monde occidental a un rapport quelque peu paradoxal à la vérité. Nous voyons souvent des chevaliers blancs, des personnes aspirant à ce que toute la clarté soit faite. Et néanmoins, lorsqu’on parle de la Vérité avec un grand "V", il y a comme une peur, car nous savons qu’en son nom, le plus atroce est commis aux quatre coins du monde. En fait, la vérité nous fait souvent peur et par cela même, notre culture préfère l’utile au vrai. "César" prend ainsi la place de "Dieu" ! Nous faisons des choses qui nous semblent certes économiquement utiles, mais sont-elles pour autant vraies, ajustées à ce que nous sommes réellement, ajustées à l'essentiel ?
Et la question qui nous est adressée est simple : comment quitter nos masques de César, ces images de puissance qui nous rendent parfois hypocrites, pour découvrir et dévoiler en nous l'image de Dieu? Acceptons-nous d'ailleurs qu’un tel dévoilement se fasse sur nous-mêmes, par quelqu'un d'autre ? Car, il faut le reconnaître, nous rendons bien souvent à Dieu ce qui appartient à César. Dans ces moments, nous introduisons de la comptabilité en Dieu. Nous avons un rapport de pouvoir avec lui... La religion prend alors les traits du permis et du défendu. Et d'autre part, nous rendons souvent à César ce qui appartient à Dieu. Dans ce cas, notre temps... devient vraiment de l'argent! Nous n'avons plus d'autre mesure que la rentabilité et notre vie devient affaire de droit et de devoirs.
Dans notre chemin de vérité et de discernement, le Christ nous invite à rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Qu'est-ce à dire, sinon nous en remettre —non à nous-mêmes— mais à Dieu justement, pour avoir le courage d’accueillir la vérité en nous. Celle-ci n'est jamais une réponse toute faite. Une formule ! Mais elle est en fait un dévoilement, je dirais un démasquement ! Etre vrai, au niveau humain, c'est avoir la force de dire ce que nous pensons, mais cela présuppose aussi de penser ce que nous disons ! Cela prend du temps, parfois. Beaucoup de temps de découvrir et de dévoiler l'image de Dieu en soi et en l'autre ! De faire passer ce que nous disons, d'abord par l'intelligence de norte coeur... ce lieu de l'intimité et de la vérité avec Dieu. Ce lieu où il n'y a pas de masque...
Voilà pour moi une petit clé de vérité intérieure toute simple que je vous invite à garder avec vous cette semaine… Dire ce que nous pensons, mais aussi et surtout, penser ce que nous disons…
Pour cela, regardons vraiment les autres en voyant au fond d’eux l'image même de Dieu, même abimée, fragile, ternie, blessée, déformée ! Parce que, de même que la pièce de l'impôt est frappée à l'effigie de César, notre cœur est, quant à lui, marqué du sceau de Dieu. Et c'est lui qui révèle à l’homme son propre cœur ! Seul, il nous connaît comme nous ne pouvons même pas nous connaître, parce qu’il nous a créés.
« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu et à Dieu ce qui est à Dieu ». Jésus ne dit pas qu’il y a le monde du temporel et le monde du spirituel... Jésus nous renvoie libres, vis-à-vis des choses du monde, et vis-à-vis des choses de Dieu.
Et il nous confronte, en toute liberté, à notre propre vérité ! Celle nous invite à laisser tomber nos personnages que nous construisons pour nous-mêmes, pour partir à la rencontre de l'image de Dieu en nous et en chacun de nous. Amen.