Je ne sais pas si vous savez, mais le psaume 136 que nous venons de lire est devenu un tube planétaire en 1978. « Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions », ce sont exactement les paroles de « By the rivers of Babylon » du groupe Boney M qui chante ce psaume, quasi mot à mot, sur un air joyeux. Excellente entrée en matière que cette chanson, ce psaume pour célébrer ce dimanche de Lætare.
Lætare est le premier mot du chant d’entrée traditionnel de la messe de ce matin, en fait le premier mot de la version latine d'un verset du Livre d'Isaïe : « Réjouis-toi, Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez ! Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire. » [Isaïe 66, 10-11]
Notre exercice spirituel – notre carême – consiste à nous rendre volontairement au désert ; à organiser en nous la faim ; à vouloir nous pencher sur nos manques et la vivacité de nos désirs ; pour mieux savourer ensuite le don de Dieu ; la joie dont rayonne Jérusalem ; et pour nous la joie de Pâques.
Nous sommes aujourd’hui à mi-chemin. Il reste moins à parcourir que ce que nous avons déjà parcouru. Réjouissez-vous, la délivrance est plus proche de nous ; que notre entrée au désert. La mi-carême symbolise cette frontière, où l'on passe des larmes, de la soif et de la récrimination – c’est à dire de la souffrance au désert – à la joie de trouver bientôt la Terre promise, la délivrance.
Je le disais, le psaume illustre à la perfection ce moment charnière. Historiquement, il se situe exactement au milieu de la première lecture : Nabuchodonosor a ravagé la Terre d’Israël, ruiné le Temple. Le peuple a été déporté à Babylone et ils sont là, prisonniers, à se demander comment encore trouver la joie et chanter Dieu face à tant de désolations. « Comment chanterions-nous un chant du Seigneur sur une terre étrangère ? » dit le texte. Comment, en effet, trouver à se réjouir au milieu de la souffrance ?
Puis la première lecture reprend l’histoire : les Babyloniens sont eux-mêmes défaits par les Perses, 70 ans plus tard, et leur roi, Cyrus, permet aux Juifs de retourner dans leur pays finançant même la reconstruction du Temple. Voilà la délivrance.
L’image de Jésus comme le serpent de bronze élevé par Moïse dans le désert, que nous présente l’Évangile, renforce cette idée de moment charnière. Le serpent est une figure ambiguë dans la Bible, tantôt mauvais, vénéneux, perfide, comme dans la Genèse ou dans l’Apocalypse ; tantôt symbole de guérison comme le représente le caducée des médecins. C’est le cas ici. Le serpent permet, en une image, de cerner le paradoxe de la Croix, qui est souffrance d’une part et qui pourtant nous sauve.
Le dimanche de Lætare symbolise cet instant de toutes les traversées du désert dans notre vie ; ce moment où la délivrance apparaît enfin en vue, comme la vigie d’un navire qui crie enfin « Terre » ; ce moment où notre cœur entrevoit à nouveau un avenir paisible ; quand l'espérance reprend subrepticement le dessus sur la tristesse ; quand revient, au milieu des larmes, la perspective de la joie. Précisément, ce qu’on fête aujourd’hui c’est la joie de Pâques en vue.
Ne sommes-nous pas aussi à ce moment charnière de notre exil pandémique ? Pas encore arrivés au bout de la marche au désert que le virus nous impose, mais déjà en vue de la perspective d’un retour joyeux à la vie d’avant. Ne sommes-nous pas précisément aujourd'hui comme ces Hébreux, certes encore en terre d’exil, mais appelés déjà à nous réjouir de lendemains enchantés désormais à notre portée ?
Préparons-nous au déconfinement. Voilà un beau programme pour aujourd’hui. Préparons-nous au retour à la vie normale. Bientôt ce sera le printemps, bientôt l’été. Et le vaccin porte de grands espoirs. Cette mi-carême, ce moment charnière dans la liturgie de Pâques, tombe à point nommé – je trouve. Préparons-nous donc à nous déconfiner, en nous déconfinant déjà l’esprit.
Réjouissez-vous ! Penchez-vous vers la joie ce dimanche. La joie qui bientôt exultera en retrouvailles de tous ceux qui nous ont manqués. La fin de la pandémie est sans doute une question de quelques mois, peut-être le printemps sera-t-il déjà plus libre qu’on ne l’espère et peut-être l’été sera-t-il particulièrement beau.
Imaginez par exemple, le réveil des arts et de la culture. A toute crise succède un moment de renaissance et de créativité. Réjouissez-vous, on aura peut-être un été enchanté, l’occasion de célébrer la convivialité. Pensez aujourd’hui à ces moments de joie qui nous attendent : les embrassades à nouveau, les retrouvailles, les fêtes qui s’annoncent, le temps perdu que l’on voudra peut-être rattraper.
Placez-vous désormais délibérément dans la joie. Faisons de ce dimanche un véritable moment charnière de cette pandémie. C’est aujourd’hui le jour pour changer d’état d’esprit. Quelle joie, en effet, de prendre conscience que bientôt, nous retrouverons tout ce qui nous a manqué pendant cet exil de plus d’une année.
Lætare ! Réjouissez-vous ! La fin de nos privations est toute proche ...