28ème dimanche ordinaire

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 9/10/22
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2021-2022

Au temps du Christ, ils faisaient partie du paysage.  Aujourd’hui encore, ils existent ça et là sur notre terre.  Ils se dénomment les lépreux.  Il y a une trentaine d’années, un nouvelle catégorie d’exclus a fait son apparition, ils portaient le nom de sidéens.  Plus récemment encore, et certains d’entre nous en font ou en ont fait partie, il y a eu l’apparition des covidés.  Trois catégories de personnes dont nous avons appris à nous protéger.  Comme si nous étions devenus des dangers les uns pour les autres.

  Durant un de ses stages, notre frère Chuyên a rencontré et a accompagné dans son pays des personnes atteintes de la lèpre.  Au début des années nonante, aux Etats-Unis, j’ai eu l’occasion d’accompagner des jeunes atteints du sida.  Aujourd’hui, soit nous l’avons eu nous-mêmes, soit nous avons des proches qui ont été atteint du Covid.  Nous avons dû nous protéger les uns les autres, les gestes de tendresse étaient prohibés, la méfiance s’est installée, la distance sanitaire était devenue la règle d’or.  Elle pourrait d’ailleurs revenir.

Les lépreux, les sidéens, les covidés : cette catégorisation comporte un certain danger, celui de ne plus s’attarder aux différences.  Nous sommes enfermés dans un tiroir, nous sommes confinés dans notre histoire, nous sommes définis par notre maladie.  Revenons alors à l’évangile de ce jour.  Nous savons qu’ils étaient dix lépreux.  Mais étaient-ils des hommes ou des femmes, des jeunes ou des vieux, des noirs ou des blancs, des juifs ou des étrangers ? Ces questions sont devenues incongrues car elles n’ont plus aucune raison d’être.  Ils étaient simplement des lépreux.  Cette catégorisation gommait toutes les différences. Ils sont lépreux.  Ils n’existent plus.  Ils sont rejetés.  Toutefois, eux, ils avaient gardé l’espérance puisqu’au moment où Jésus passe près d’eux, ils vinrent à sa rencontre tout en gardant cette fameuse distance sanitaire, et ils crièrent.  La réponse du Fils de Dieu à ce cri de détresse est d’une simplicité déconcertante : « allez-vous montrer aux prêtres ».  Il est vrai qu’ils étaient les seuls à pouvoir attester d’une guérison.  N’oublions pas qu’à l’époque la lèpre était considéré comme un châtiment divin.  N’avons-nous pas entendu de telles affirmations au moment de l’apparition du Sida et même du Covid ? Mais voilà que chemin faisant, les dix lépreux sont guéris.  Et nous, nous ne pouvons que nous réjouir d’une telle guérison. Ce qui est alors tout à fait étonnant dans ce récit, c’est qu’à l’instant même où ils sont guéris, les différences réapparaissent.  Nous découvrons que, parmi eux, il y avait neuf juifs et un samaritain. Cette différence n’est pas anodine puisqu’elle va aboutir à des attitudes fondamentalement contradictoires dans la compréhension qu’ils ont chacun de leur guérison.  Les neuf lépreux d’origine juive vont suivre l’injonction du Christ.  Ils vont lui obéir et accomplir ainsi la loi.  Ils se montrent aux prêtres.  Ayant obéi à l’ordre reçu, ils estiment qu’ils sont les seuls acteurs de leur guérison.  C’est uniquement grâce à eux, grâce à la démarche entreprise d’aller accomplir la loi en se montrant aux prêtres qu’ils sont guéris.  Ils ne doivent rien à personne d’autre qu’à eux-mêmes.  Il en va alors tout autrement pour le dixième, le samaritain.  Je l’imagine mal aller se présenter aux prêtres.  Il sera très mal reçu par ceux-ci puisqu’il est samaritain.  Sa place n’est pas dans le temple qui était réservé aux juifs.  Selon eux, il n’est qu’un hérétique qui ne peut venir souiller ce lieu saint.  Mais chemin faisant, il guérit également et revient vers le Christ, contrairement aux neuf autres.  Il a compris, lui, qu’il n’est pas l’auteur de sa guérison, que celle-ci n’est pas dûe à ses propres mérites mais qu’elle vient d’au-delà de lui.  Il reconnaît que celle-ci est un don de Dieu.  Il sait que le Fils de Dieu en est l’auteur. Il n’a alors plus qu’à se jeter face contre terre en rendant grâce.  Et une fois encore le Christ nous surprend avec ses mots : « relève-toi et va ; ta foi t’a sauvé ».  Il est non seulement guéri.  Il est ressuscité puisque c’est le même verbe qu’utilise l’évangéliste lorsqu’il parle de résurrection.  Il est guéri de sa maladie.  Il est ressuscité à lui-même et mieux encore, il est sauvé !  Pourquoi ?  Tout simplement, parce qu’il a été capable d’accueillir et d’accepter ce don de Dieu qu’est la foi.  Mieux encore, il rend grâce pour un tel don.  Quant à nous ce soir, avec reconnaissance rendons grâce à Dieu pour avoir également reçu le don de la foi et pour y avoir répondu favorablement.  A notre tour de guérir de nos blessures intérieures, de ressusciter à nous-mêmes et d’être sauvé dans l’accomplissement de notre destinée.

Amen