Chers frères et sœurs,
Dans l’une de ses Prédications de Pâques, un Abbé cistercien du Moyen-Âge compare le texte de la Bible à une noix : la coquille est souvent très dure, dit-il, et il faut faire de gros efforts pour la casser. Mais celui ou celle qui a réussi à atteindre le noyau sucré peut s’en nourrir.
Si nous avons bien entendu ce que Jésus a dit à ses Apôtres dans l’Évangile de Luc d’aujourd’hui, nous nous retrouvons rapidement dans le rôle du casseur de noix et nous nous heurtons à la Parole de Jésus sur « la foi » capable de déraciner un arbre pour le planter dans la mer (Lc 17, 5-6) et à sa Parole sur « les simples serviteurs » qui n’ont fait que leur devoir (Lc 17, 7-10). Ce sont là déjà des « noix dures » qu’il faut casser pour en découvrir l’intérieur. Quelle peut être la nourriture spirituelle cachée dans ces Paroles ? Elle est de deux sortes.
Premièrement. Derrière cette Parole exigeante de la foi capable de déraciner un arbre, je découvre, en lisant attentivement, une consolation - une consolation pour ceux et celles qui considèrent leur foi comme petite et faible ; pour ceux et celles qui pensent que leur confiance en Dieu et leur engagement pour le Royaume de Dieu ne sont pas assez forts.
Jésus, qui aime les images fortes, veut les consoler : même si ta foi est petite comme une graine de moutarde, elle peut avoir un grand effet. Elle peut faire bouger ce qui semble immobile. Même un petit témoignage de foi peut faire pousser quelque chose là où personne ne le soupçonnerait.
« Vis le très peu de chose que tu as compris de l’Évangile », a écrit une fois frère Roger Schütz, le Fondateur de la Communauté de Taizé, illustrant ainsi la préoccupation de Jésus. Si tu as compris une Parole de l’Évangile, laisse-toi saisir par cette Parole et agis en conséquence.
Jean-Marie Vianney (1786-1859), le Curé d’Ars, en est pour moi un exemple frappant. C’était un prêtre plein d’humilité, peu doué intellectuellement, mais possédant une grande sagesse. Il était conscient de ses limites. Mais nous savons aussi combien de bien a résulté de l’action modeste de ce prêtre. Il a rendu la paix aux consciences tourmentées et consolé les affligés. À la fin de sa vie, des dizaines de milliers de personnes se rendaient chaque année à Ars pour l’écouter. D’où tirait-il sa force ? La trame de toute sa vie était l’Eucharistie. Il avait la passion de célébrer l’Eucharistie. Il la célébrait avec une telle ferveur que les gens qui le voyaient à l’autel témoignaient qu’ils reconnaissaient Notre Seigneur à « la fraction du pain. »
Venons-en à la deuxième nourriture spirituelle qui se cache derrière la coquille dure de l’Évangile. Derrière l’étrange parabole de Jésus sur les simples serviteurs, je découvre, en lisant attentivement, un avertissement, un avertissement à ceux et celles qui sont fiers de leur foi et pensent avoir tout fait ; à ceux et celles qui considèrent leur piété, leur action comme une performance pour laquelle ils attendent une récompense de Dieu.
Cette parabole de Jésus est presque insupportable pour nous, hommes d’aujourd’hui, d’un serviteur qui, sans exigence, se soumet entièrement à la volonté de son Maître. Dans l’Évangile, elle suit de près la réponse de Jésus à ses Apôtres qui lui demandent d’augmenter leur foi.
Seul l’Évangéliste Luc a rapporté ces paroles. À l’origine, ces paroles étaient probablement adressées aux pharisiens qui, dans leur attitude moralisatrice, étaient restés prisonniers de la pensée du salaire et de la performance, même devant Dieu, et qui n’avaient jamais voulu apprendre que tout ce qu’ils avaient était un don de Dieu. Malheureusement, nous sommes nous aussi trop calculateurs et trop facilement tentés d’atteler Dieu à la charrette de nos désirs et de nos performances.
Dieu est toujours plus grand que ce que nous imaginons. Le Pasteur et théologien protestant Dietrich Bonhoeffer, mort à Auschwitz, a dit un jour : « Dieu n’accomplit pas tous nos désirs, mais toutes ses promesses. »
Ce que Dieu attend de toi, c’est une disponibilité totale et inconditionnelle à suivre ton chemin à la suite du Christ – qui, comme Saint Paul l’a dit un jour, « s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes » (Ph 2, 7).
Il me vient ici à l’esprit une histoire que j’ai lue un jour. Dans son Journal intime, le Pape Jean XXIII (1958-1963) écrivait : « Giovanni, ne te prends pas trop au sérieux. » C’était une façon pour lui de se protéger de l’arrogance, de garder l’humilité et le courage de servir. Le Pape Jean XXIII avait établi dix maximes pour chaque jour de sa vie. La cinquième maxime se présentait ainsi : « Rien qu’aujourd’hui, je ferai une bonne action et n’en parlerai à personne. »
C’est notre foi qui est la condition et la clé d’une vie avec Dieu et nous pousse à nous mettre, dans l’humilité, au service de nos frères et sœurs. Il est donc certain que nous servons Dieu quand nous servons les autres. Le service du frère ou de la sœur est la charité en acte, par excellence. Le service, c’est aimer de manière très concrète, en prenant soin de ceux et celles qui en ont besoin, comme le fait si bien le Bon Samaritain dans l’Évangile de Luc (Lc 10, 25-37).
Le mot « service » nous permet de mieux comprendre le passage suivant de la première lettre de Jean : « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas ! » (1 Jn 4, 20). C’est encore plus parlant si nous remplaçons le verbe « aimer » par « servir », alors tout devient évident et concret : « Celui qui ne sert pas son frère qu’il voit, ne saurait servir Dieu qu’il ne voit pas ! ».
Le service du frère ou de la sœur, qui est la charité en acte, me fait penser au sermon de l’Archevêque Justin Welbey aux funérailles de la Reine Elisabeth II. Il disait : « Les personnes au service de l’amour sont rares dans tous les domaines de la vie. Les leaders au service de l’amour sont encore plus rares. Mais dans tous les cas, ceux qui servent seront aimés et on se souviendra d’eux quand ceux qui s’accrochent au pouvoir et aux privilèges seront oubliés depuis longtemps. »
C’est de la même manière que Saint Paul et les autres Apôtres ont vécu cette expérience de la foi en Dieu qui doit être éclairée par des actes concrets et un amour vécu. Ils se sont considérés comme de simples serviteurs du Christ et se sont mis entièrement à sa disposition.
Puisse cette célébration eucharistique nous aider à faire de gros efforts pour vivre le peu de chose que nous aurons compris de l’Évangile d’aujourd’hui ! Que cette Eucharistie nous aide aussi à renouveler et augmenter notre confiance en Dieu, et à espérer même contre toute espérance, comme un arbre qui s’élèverait au milieu des flots. Amen.