« Ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur tous les toits » : voilà qui est bien dangereux. Souvent ce que l’on dit tout bas n’est pas fait pour être répété, ni surtout annoncé publiquement. Ce sont souvent des médisances, des racontars ou même des inventions. Et c’est rarement pour dire du bien qu’on le dit tout bas. C’est même parfois un sport ou un plaisir pour certains de faire sous-entendre que Monsieur Untel ou Madame Unetelle ont fait ceci ou ont dit cela.
Ce n’est certainement pas à cela que Jésus pensait quand il disait que ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, vous devez le proclamer sur tous les toits. Lui-même, durant sa vie terrestre, n’a pas murmuré quelques méchantes paroles dans l’oreille de ses disciples, ni dans celle de ses proches. Bien au contraire, il était fier de pouvoir dire à ses juges, le soir du Jeudi Saint, qu’il avait toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple et qu’il n’avait jamais rien dit en secret (Jean 18, 20). Ce sont les pharisiens qui en secret cherchaient à faire périr Jésus, mais ils ne faisaient rien en public parce qu’ils savaient que le peuple écoutait Jésus et qu’il l’aimait. Ils avaient peur du peuple » (Luc 22, 1).
Cette tendance naturelle chez l’homme de faire des complots et de murmurer contre quelqu’un a même un nom dans la Bible. C’est celui d’un lieu et d’un épisode bien connu : les eaux de Mériba. C’était pendant la traversée du désert. Le peuple avait soif et il avait perdu confiance en Moïse. Ils murmuraient contre leur chef et leur libérateur, en l’accusant de vouloir les faire mourir dans le désert : « pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ? » (Nombre 20, 5). Les juifs étaient tellement aigris qu’ils reprochaient à Moïse de les avoir libérés de l’esclavage en Égypte.
Ce n’est évidemment pas de tout cela que Jésus voulait parler quand il donnait cet ordre de dire à voix haute ce que lui nous aurait dit à voix basse. Il pensait plutôt aux petits mots doux qu’un jeune homme murmure à l’oreille de sa fiancée. Ces petites paroles sont fines et délicates. Il serait indécent de les crier dans un haut-parleur. Il y a des choses que l’on dit tout bas parce que cela ne regarde personne et que c’est beaucoup trop beau, beaucoup trop sensible pour être proclamé en public, devant des gens, devant des étrangers.
Et pourtant Jésus a raison de dire que, lorsqu’on a entendu d’aussi belles paroles, on ne peut pas rester muet, ni indifférent. Il faut pouvoir exprimer toute la joie, tout le bonheur que l’on a de recevoir la révélation d’un si grand amour. C’est ce que saint Paul a fait. Dès qu’il a été terrassé de son cheval sur le chemin de Damas, et qu’il a été guéri de sa cécité, il est allé dans la synagogue de Damas pour annoncer la Bonne Nouvelle. Et il est allé en Grèce, en Turquie et jusqu’à Rome pour répéter ce que Jésus lui avait dit : « pourquoi me persécutes-tu ? », c’est-à-dire que, quand tu fais du mal à un homme, c’est à moi, Jésus, mort par amour pour toi, que tu fais du mal.
Alors, pendant cette eucharistie, faisons silence, coupons tous les bruits qui empoisonnent notre cerveau et notre cœur pour entendre le doux murmure des mots d’amour que Jésus susurre à notre oreille, et, remplis de joie à l’écoute d’un si grand mystère, allons porter à tous nos frères ce que nous avons reçu : l’amour de Dieu pour chacun d’entre nous.