L'originalité de l'attitude et du message de Jésus par rapport à la doctrine de l'ancien testament, pourrait se résumer en ceci : il s'est assis à la table des pécheurs et a mangé en leur compagnie. Et viennent aussitôt à la pensée les paroles du Seigneur : Ce sont ceux qui se portent mal qui ont besoin du médecin ! Je ne viens pas appeler les justes mais les pécheurs. Je veux la miséricorde et non le sacrifice...
Il vient manger avec les pécheurs pour les nourrir de sa sainteté. Si l'on suit Jésus, c'est parce qu'on a trouvé en Lui, comme St. Matthieu, la source de vie qui sauve. L'histoire de l'apôtre, sa vocation, son appel par Jésus, commence devant une table mais c'est une table sur laquelle s'alignent des colonnes de pièces de monnaie. Sa vie s'achève au pied d'une autre table, la table eucharistique où il fut mis à mort tandis qu'il célébrait « le mystère de l'autel », comme dit la tradition. L'ancien collecteur d'impôts a contresigné, du témoignage irrécusable de sa vie, le livre qui porte son nom. Le publicain Lévi est devenu St. Matthieu, apôtre, évangéliste et martyr. Matthieu ce qui signifie « don de Yahweh » parce qu'il sait entendre ces deux mots que Jésus lui adresse »Suis-moi. »
De la même façon, nous serons sauvés si nous consentons à suivre le Seigneur. Si le Sauveur nous remet nos fautes, c'est pour nous conduire à sa suite jusqu'à la sainteté. Sur les pas du Seigneur le pécheur pardonné va courir la folle aventure de faire de cette terre le royaume du ciel. Projet fou ou scandaleux !
Ce repas « avec beaucoup de pécheurs » insistera Marc, ce repas en effet, ne manquera point de scandaliser les bien-pensants de la localité. Pharisiens et scribes s'en indignent auprès des disciples. Est-ce avec ce ramassis de pécheurs qu'un Messie digne de ce titre compte relever le pays et sauver le monde ? Les préjugés sont tenaces. 20 ans après la résurrection de Jésus, des chrétiens d'Antioche refuseront aussi de prendre leur repas avec les « frères » convertis du paganisme. Jésus, lui, ne fait pas de difficulté à présider la table où se pressent tous ces pécheurs publics, honnis de la société. Il a vite relevé les protestations : ce sont les malades qui ont besoin de médecin. Puis, il conseille à ses détracteurs de méditer le passage du prophète Osée : Je préfère la miséricorde aux sacrifices. Dieu préfèrerait trouver dans le c½ur des pharisiens, observateurs minutieux des prescriptions rituelles, un peu plus de compassion cordiale pour les faibles plutôt que la rigueur de pratiques extérieures. La miséricorde lui est plus agréable que les dévotions. Aux satisfaits d'eux- même qui font sonner très haut leur réputation de vertu, Jésus assène le coup de grâce « Il est venu sauver les malheureux conscients de leur faiblesse et de leur culpabilité et non les repus d'eux même ».
Il est donc facile de conclure : tous sont « appelés » même et surtout le pécheur. C'est ce titre d' »appelés » que St. Paul, entre autres, donnera à tous les disciples, indistinctement : « tous sont appelés, sachant que nous sommes tous pécheurs et il nous justifiera. Oui, on se tromperait en réservant le mot de vocation (appel) à certains états de vie particulière ou exceptionnelle. Il n'y a qu'une seule vocation chrétienne, une vocation évangélique, la vocation à la sainteté pour tous. Vatican II nous l'a rappelé. Voir Lumen gentium Chap. 2 et 4. Tous sont appelés à partager la félicité de l'amour. Cette vocation d'amour, cet effort constant de charité nous oblige tous. La sainteté est compatible avec tous les états de vie. Elle n'exige pas que nous nous retranchions de l'existence telle que le destin nous l'offre. Tous, bien que dans des conditions de vie différentes, avons à suivre Jésus, c'est-à-dire à croire en sa parole, à nous en inspirer dans les circonstances concrètes de nos situations de vie, dans nos tâches et dans nos rencontres, dans nos réflexions et dans nos recherches, dans nos questions, nos doutes ou nos découvertes.
Toutefois, on ne peut suivre quelqu'un en restant immobile. Le mot : suivre fait image. Il évoque le mouvement. Il faut marcher, avancer, progresser, si pas toujours au même pas et, surtout pas au pas de l'oie, si pas toujours au même rythme, à la même cadence, du moins toujours avec continuité, avec persévérance, par-delà les arrêts ou les chutes, se reprenant sans cesse. Et l'appel qui retentit dans la conscience se répercute de même dans tout l'être : c½ur, esprit action et résonne aussi à toutes les heures de notre vie, dans les joies comme dans les peines. Nous n'y répondons pas une seule fois pour toutes au jour de notre confirmation, en entrant dans les ordres ou à des heures de grâce exceptionnelle.. . C'est tous les jours, dans nos entreprises journalières, qu'il nous faut nous efforcer de répondre à l'appel de Dieu, au foyer, dans le milieu de travail...appel que le Christ nous réitère partout et à chaque instant.
Aussi, descendons en nous-même, non là où se décernent les grands prix de vertu, mais là où nous lisons parfois les leçons d'espérance et d'humilité. Quand, dans l'eucharistie de ce jour, nous allons rencontrer le Seigneur, offrons-lui notre réponse de bonne volonté, foncière et joyeuse, surtout joyeuse !
Quand le publicain Lévy invita tous ses collègues- pécheurs à dîner avec Jésus, il n'eut pas la prétention de leur dire » faites comme moi, suivez-le », non ! Mais il était tellement bouleversé par les paroles de miséricorde du rabbi Jésus et heureux de son pardon qu'il voulut les associer à ce bonheur. Et cette joie dont il leur donnait naïvement le spectacle fut le premier témoignage de gratitude qu'il rendait à son maître. Ce fut le début de son apostolat : un dîner festif, une réjouissance.
Le ministère le plus persuasif, disons-le, c'est la joie des chrétiens, cette sérénité intense, cette tranquillité joyeuse, cette paix festive d'être sauvé, cette félicité rieuse, cette allégresse d'être choisi, appelé, pardonné. Notre espérance attirera vers le Seigneur nos compagnons de misère. Nous serons témoins et prédicateurs de l'évangile par le ministère chaleureux et candide de notre confiance assurée et joyeuse et par notre paix intérieure pertinente et heureuse.