12e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Ne craignez pas les hommes, dit Jésus à plusieurs reprises. Ne craignez pas ! Mais que devrions nous craindre nous qui vivons dans un lieu privilégié, où les ressources sont abondantes. Il n'en va cependant pas de même dans la région des Grands-Lacs d'où je reviens. Là, ils peuvent vraiment craindre, avoir peur. Ils vivent d'ailleurs avec cette peur en permanence. Elle est plurielle : peur d'être dénoncé par son voisin, sa cousine.

Il y a des arrestations tous les jours. Il est vrai qu'avec deux services secrets : les renseignements généraux et les renseignements de l'armée, cela fait beaucoup de monde pour informer ceux qui doivent l'être parce que ces derniers ont peur de perdre leur pouvoir pris par la force. On arrête pour un oui, ou pour un non. Alors effectivement ils peuvent avoir peur. D'autant que dans un an, il y aura des élections. Les américains, vous savez la première démocratie, l'exigent. Mais comme au Rwanda, il est interdit de fonder de nouveaux partis, seuls les candidats présentés par le pouvoir pourront être élus et nous ici, parce que nous ne sommes pas au courant de ce petit détail comme dirait l'autre, nous nous réjouirons de ce retour à la soi-disant démocratie. A côté de cette peur d'être dénoncé et emprisonné, il y a également la peur de mourir, par la guerre et le sida, l'espérance de vie est descendue à 37-38 ans.

Chaque jour, au Burundi par exemple, des personnes sont abattues mais on n'en parle pas. Il est vrai que ces pays n'ont pas de ressources naturelles et ne sont donc pas intéressant économiquement. Enfin, il y a encore une autre peur : celle de ne pas être éduqué. L'école primaire est obligatoire mais elle est payante. Seulement quarante pour cent des enfants seront scolarisés à ce niveau. Mais cette année par exemple sur 80000 enfants qui terminent leurs primaires, il n'y a que 3000 places de disponible pour le secondaire. Cela signifie qu'environs 4-5% de la population des 12-18 sera scolarisée. Alors quand Jésus nous dit " ne craignez pas ", il y a de quoi sourire surtout quand on visite cette superbe région d'Afrique. Et pourtant, ce message leur est également adressé et ils l'entendent. Car malgré tout ce que je viens de dénoncer, ces peuples gardent l'espérance.

Une espérance fondée sur une confiance totale et inébranlable en la vie et en Dieu. Je garde en mémoire cette ferme qui éduque plus de 150 personnes par an à la culture et à l'élevage et qui distribue des arbres fruitiers ou non chaque année. Ne perdant pas espoir, ils ont alors quelque chose à nous apprendre. Puisqu'ils n'ont plus rien, même leur vie n'a plus beaucoup de prix, ils se retournent vers l'essentiel, ce qui n'a pas de prix et donnent de la couleur à la vie : leur foi, leur confiance en ce Dieu qui les invitent à ne pas craindre, à dépasser ses propres peurs.

Nous aussi, ici, nous sommes confrontés à des peurs : il y a d'abord celles qui portent les noms de diverses maladies et de catastrophes naturelles ou de violence. Il y a aussi la peur de la solitude, , du ridicule ou de l'échec. Enfin, il y a également la peur de dire la vérité et donc de ne pas s'engager. Ma liste est évidemment loin d'être exhaustive. Mais revenons à cette dernière, je ne parle pas des grands engagements qui auront des conséquences pour la vie entière comme le choix des études, le mariage ou la vie religieuse, non je pense plutôt à tous ces petits engagements quotidiens à côté desquels nous pouvons passer par peur du ridicule, de la réaction de l'autre ou encore par crainte de devoir le contredire au nom d'une vérité qui nous anime. Cette peur là, elle s'exprime par les " j'ai failli ", les " j'aurais dû ". Lorsque de telles expressions croisent notre vécu de temps à autre, ce n'est pas bien grave. Il n'est pas possible de tout réaliser. Mais lorsqu'elles deviennent légion alors, nous sommes conviés à nous ressaisir parce qu'à force de faillir, nous risquons de passer à côté de notre vie.

Afin d'éviter cela, nous sommes invités à chercher à comprendre le pourquoi de ces petites peurs anodines : sont-elles réelles ou pures projections de notre esprit. Il y a donc lieu de faire silence à cette voix noire des sagesses et des raisons. Et cela, c'est le travail que l'écoute opère en nous : avant de nous dire quelque chose, elle fait taire en nous tout le reste. Ecouter, ce n'est rien qu'on puisse dire ou penser. C'est d'abord s'interrompre pour mieux éclairer une parole en douceur et vérité. Ce silence est délivré du langage, détaché de tout - et même de soi. Il ne dit rien que lui-même. Puissions-nous écouter ce silence de nos peurs quotidiennes pour apprendre à les dépasser et ainsi être capable non seulement d'écouter mais d'entendre ce que l'autre me dit, pense et vit. C'est une question éthique car faillir trop souvent blesse. S'il en est ainsi entre nous, il en va de même pour Dieu. Dieu a besoin de nos mains et de nos paroles pour exister sur cette terre. Il demande à chacune et chacun d'entre nous d'être des témoins véritables de cette foi qui nous habite.

N'ayons pas peur d'être ridicule aux yeux de certains parce que nous croyons. La foi permet de déplacer des montagnes, de dépasser nos peurs. Cette foi donne du goût à notre vie. Le ridicule ne tue jamais le témoin lorsqu'il témoigne, le ridicule tue simplement le muet parce qu'à force de ne plus parler, il n'existe plus. Osons partager notre foi à celles et ceux que nous croisons. Nous valons bien plus que tous les moineaux du monde. N'ayons plus peur. Dieu a besoin de nous.

Amen.