J'aimerais parfois pouvoir sonner à la porte d'une maison dont je ne connais pas les habitants. Je la choisirais au hasard et j'irais m'asseoir dans leur cuisine. Là je leur demanderais de quoi ils ont peur dans cette vie, ce qu'ils espèrent le plus réaliser et surtout s'ils comprennent quelque chose à notre présence commune sur cette terre. Ayant reçu un minimum d'éducation, je sais que ce genre de chose ne peut pas se faire alors que cet élan me semble le plus naturel du monde. Quand bien même je braverais ces limites qui m'ont été imposées tout au long de mon enfance, à raison, je craindrais les réactions des personnes chez qui j'irais sonner. Elles me prendraient sans doute pour un fou, un être à interner. Il y aurait beaucoup de méfiance dans la rencontre en tout cas.
Cette méfiance est devenue un peu le ciment de ce début de troisième millénaire. Il n'est pas évident de donner sa confiance. Tout nous pousse à nous méfier par crainte du regard de l'autre, par peur d'être tout simplement abuser dans notre crédulité, ou encore par malaise de ce que cet autre pourra découvrir de nous et que nous ne gérons pas bien. Les images et les titres des médias ne nous aident effectivement pas toujours à entrer dans le risque du pari de la confiance, c'est-à-dire d'un optimisme à la vie. Et sans doute que l'évangile à quelque chose à nous dire ce ajourd'hui. L'accueil est une dimension essentielle de nos existences.
Nous avons en nous ce besoin d'accueillir, de rencontrer pour aimer mais également ce plaisir de se sentir accueilli, reconnu et accepté tels que nous sommes. L'accueil ne demande pas grand chose. Il suffit d'un simple verre d'eau fraîche nous dit le Christ. Trop souvent nous nous encombrons de projections sur ce qu'il y a lieu de faire et d'offrir pour bien accueillir alors que l'accueil véritable est une disposition du c½ur en vue de rencontrer l'autre en vérité. Pour cela, pas besoin de biscuits, ni de champagne frappé. Plutôt un simple regard soutenu épris de tendresse et de disponibilité. Plusieurs d'entre nous, ont sans doute, au cours de leurs voyages, rencontré des cultures où l'accueil était une priorité, un élément essentiel de leur tradition. Avec pas grand chose, presque rien, ils nous donnent l'impression qu'à leurs yeux nous sommes importants comme si nous étions Dieu à leur table.
Me revient en mémoire ce petit morceau de pain tartiné d'une sardine écrasée le tout recouvert de confiture de fraises. Vous me l'offririez maintenant j'aurais quelque réticence à l'accepter, mais ce morceau je l'avais reçu de quelqu'un qui avait tout perdu. C'était dans un camp de réfugiés. Il y a déjà huit ans et pourtant, je n'ai jamais oublié. Au plus profond de son indigence, il offrait au riche que j'étais tout ce qu'il avait trouvé. Lorsque cela nous arrive, après l'étonnement, l'émerveillement, vient le temps du doute, de la méfiance : que veut-il de moi, qu'attend-elle en retour. La gratuité de ce geste n'est pas possible. Nous nous méfions.
Or pourtant, l'accueil véritable se vit dans la confiance. Toutes et tous, par l'évangile, nous sommes conviés à lâcher prise, c'est-à-dire à faire ce travail intérieur d'être bien avec nous-mêmes. En nous, les choses se mettent ou remettent à leur place et nous devenons fidèles et en lien avec qui nous sommes. En faisant cette démarche, nous enlevons beaucoup de choses inutiles dans nos vies. Désencombrés de toutes nos méfiances, nos suspicions, Dieu peut alors se rapprocher de nous pour voir ce qui se passe. Remettant Dieu au c½ur de nos vies, nos regards peuvent alors se transformer. Nous ne sommes plus sous l'influence d'une société qui se méfie, mais nous nous enracinons dans un évangile qui nous rappelle que chaque fois que nous accueillons l'un des nôtres, aussi éloigné soit-il de nous, c'est Dieu que nous accueillons. De la sorte, l'accueil n'est pas seulement humain mais bien divin. C'est dans ma manière d'accueillir l'autre, de lui faire confiance, en fait de permettre à ce qu'une relation s'établisse que Dieu peut surgir et vivre parmi nous. Dieu vit en chacune et chacun de nous. Il est vrai que parfois, pour diverses raisons, nous avons l'impression que Dieu se cache dans l'autre et que nous ne le trouvons pas, tellement cet autre nous énerve. Et pourtant, cet autre, tout autre qu'il ou elle est, est également lieu de Dieu. Tout comme nous le sommes. Puissions-nous alors au nom de cette foi qui nous anime, oser à nouveau faire confiance en chacune et chacun, dépasser nos méfiances respectives pour permettre à ce Dieu en nous d'exister parmi nous.
Amen.