10e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA MORT ET LA VIE SE RENCONTRENT

Après 4 mois consacrés à préparer puis célébrer « Pâques-Pentecôte-Eucharistie », donc l'essentiel du mystère chrétien, nous reprenons aujourd'hui « le temps ordinaire » c.à.d. la lecture suivie de l'évangile de Luc. D'emblée nous tombons sur un récit de miracle - et quel miracle ! - : la résurrection d'un garçon à Naïn, petit village au sud-est de Nazareth. Si l'événement avait été raconté sur le champ par un journaliste présent, quel tintamarre : « Ouf ti !», (les Liégeois comprendront) gros titre, accumulation de détails, appel à l'émotion, cris, larmes. Mais Luc raconte le fait 50 ans plus tard, de façon très sobre, comme s'il s'agissait d'un incident très ordinaire : rien de sensationnel, nul effort pour convaincre de la réalité du fait. A quoi bon en effet se battre les flancs pour tenter de convaincre des gens qui de toute façon refuseront d'y ajouter foi ? Et d'ailleurs s'agit-il seulement de persuader de la vérité précise du fait ou d'en révéler le sens ?...

Jésus se rendait dans une ville appelée Naïn. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu'une grande foule. Il arriva près de la porte de la ville au moment où l'on transportait un mort pour l'enterrer : c'était un fils unique et sa mère était veuve. Une foule considérable accompagnait cette femme.

Deux foules se rencontrent inopinément : Jésus suivi par ses disciples, émerveillés par ses guérisons miraculeuses, et un cortège funèbre où les gens pleurent autour d'une maman effondrée, avec des pleureuses qui crient des lamentations. La joie et la tristesse. La vie et la mort. L'espérance et la tragédie.

En la voyant, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle et lui dit : «  Ne pleure pas ». Il s'avança et toucha la civière : les porteurs s'arrêtèrent et Jésus dit : «  Jeune homme, je te l'ordonne, lève-toi ». Alors le mort se redressa, s'assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère.

Trois ! : Jésus voit cette maman écrasée de chagrin - il est touché - il agit.
Le mot « pitié » est bien trop faible pour traduire Luc qui écrit : « Jésus est bouleversé aux entrailles », un verbe construit sur la racine « matrice » et qui n'est utilisé par les évangélistes que pour Jésus : il est touché au plus profond de son être devant les hommes perdus, devant les foules affamées, devant les pauvres aveugles de Jéricho, devant le lépreux qui l'interpelle, devant le père de l'enfant épileptique (Mt 9, 36 ; 14, 14 ; 20, 34 ; Mc 1, 41 ; 9, 22 ) ; il est le bon Samaritain choqué devant le moribond, il est le père bouleversé qui retrouve son fils prodigue (Luc 10, 33 ; 15, 20).

Nous, trop souvent hélas, nous essayons de ne pas voir les faits qui nous dérangent, ou nous ressentons une vague pitié qui nous serre le c½ur un instant et, la larme à l'½il, nous sentant impuissants, nous retournons à nos affaires en tentant d'oublier au plus vite.
Jésus, lui, ose regarder vraiment l'autre souffrant, il entre dans son affreux malheur, il en est retourné comme une mère qui perd « le fruit de ses entrailles » (c'est le côté féminin de Dieu qui n'est certes pas qu'un homme !) ; ce drame l'interpelle, il se sent « responsable » (tenu de répondre) ; il s'approche au lieu de fuir ; il passe à l'action.
« Je te l'ordonne : lève-toi » : ce verbe tout simple est un des deux que les apôtres emploieront pour désigner la Résurrection de Jésus à Pâques : « Son Père l'a relevé...Il s'est réveillé ». Mais tandis que le jeune homme bénéficie d'un sursis qui lui permet de retrouver sa mère, de vivre encore quelques années sur cette terre avant de connaître une mort définitive, Jésus, lui, vivra de la Vie éternelle.
C'est pourquoi il serait mieux de parler de la « réanimation » de ce jeune plutôt que de sa « résurrection » comme la T.O.B.

La crainte s'empara de tous et ils rendaient gloire à Dieu : «  Un grand prophète s'est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple ». Et cette parole se répandit dans toute la Judée et les pays voisins.
La crainte ne se confond pas avec la peur : elle est le saisissement de l'homme lorsqu'il perçoit qu'il se trouve devant une intervention divine qui le dépasse complètement. Il ne s'agit pas seulement d'un prodige qui suscite l'étonnement et l'incompréhension mais d'une action qui provoque la foi et l'action de grâce.
Qui est donc ce Jésus ? Il est certainement un envoyé de Dieu, avec lui Dieu vient parmi nous, il nous visite pour nous combler de bienfaits : c'est ce que chantait déjà Zacharie, le père de Jean-Baptiste :
« Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, parce qu'il vient visiter son peuple...C'est l'effet de la Bonté profonde de notre Dieu : grâce à elle, l'astre levant nous a visités. Il est apparu à ceux qui se trouvent dans les ténèbres et l'ombre de la mort afin de nous guider sur la route de la paix » (1, 68. 78).

Luc s'inspire du récit du prophète Elie qui releva un enfant (1 Rois 17, 10 = 1ère lecture de ce jour) et dont on attendait le retour. Jésus est Elie revenu mais beaucoup plus puissant puisqu'il relève le mort d'un mot. En outre, Luc montre que cette scène est comme une anticipation de la fin de l'évangile. De la sorte, les 3 récits sont en relation : là est leur lumière et leur force de conviction.

A la fin de l'évangile, une autre maman, MARIE, veuve,
verra son fils unique exécuté sur la croix ignominieuse
et enseveli, comme un gredin, au Golgotha (à la porte de la ville de Jérusalem).
Mais Dieu verra sa souffrance,
il sera bouleversé dans ses entrailles,
il relèvera son fils (qui est le Sien)
qui se remettra à parler
et il le rendra à sa mère.
Alors les disciples seront convaincus de « la visite de Dieu », de son intervention extraordinaire,
ils rendront gloire non pour « un grand prophète » mais pour le FILS UNIQUE
et cette proclamation retentira dans « tous les pays voisins »jusqu'aux extrémités de la terre.

CONCLUSIONS

Notre société moderne est très fière de s'être débarrassée des vieilles superstitions religieuses et des légendes de la Bible : la seule chose qui vaille, c'est de goûter le bonheur, profiter de la vie, aménager un nid douillet, jouir des loisirs inédits, donc gagner plus d'argent et se divertir devant les hautes manifestations culturelles comme Eurovision, the Voice, et autres du même acabit.
Mais chaque lundi, la presse présente d'effrayantes photos d'accidents de voiture et les corps des jeunes fracassés. Combien chaque année ? Combien de mères et de pères effondrés, brisés à jamais par le chagrin, quand la présence chérie n'est plus qu'une photo au mur ?
Deux cortèges : le monde et l'Eglise se rencontrent.
L'absurde d'une jeune vie brisée et l'espérance.
Quand nulle TV, nul CD ne peuvent exprimer quelque chose, une maison est ouverte à tous et elle accueille. Non pour y marmonner des discours pieux, appeler à la résignation, consoler à bon compte.
Mais pour VOIR réellement les personnes, ETRE BOULEVERSES par leur drame, nous RENDRE PROCHES, TOUCHER le cercueil et les parents.
L'Eglise alors est celle du Vendredi Saint quand, en silence, les femmes au Golgotha  regardaient le crucifié mourant et assistaient à son ensevelissement.
Celle du Samedi Saint, du grand silence de l'absence.
Mais en osant, malgré tout, chanter la victoire de Pâques, la communauté chrétienne compatissante célèbre le retour du FILS UNIQUE - et des FILS qui « se lèveront »  pour ne plus jamais mourir.
Les temps de deuil sont un haut lieu d'évangélisation.