10ème dimanche ordinaire

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 5/06/16
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2015-2016

En se laissant ainsi émouvoir jusqu’au plus profond de ses entrailles face à la mort du fruit des entrailles d’une veuve, le Fils de Dieu nous fait opérer un changement conceptuel quant à sa propre divinité.  En effet, dans l’Antiquité, pour la pensée stoïcienne qui était considérée comme la foi la plus noble, la caractéristique première de Dieu était d’être apathique, c’est-à-dire un Dieu incapable de sentiments.  Dans sa toute-puissance, Dieu ne peut se laisser influencer.   Dès lors, si quelqu’un est capable de rendre un autre désolé ou triste, joyeux ou heureux, cela signifie, qu’au moins, à ce moment précis où il altère les sentiments de l’autre, il peut exercer une influence sur celui-ci.  S’il est donc capable de l’influencer, cela signifie qu’au moins à ce moment précis, il est plus grand que lui.  Or personne ne peut être plus grand que Dieu, en conséquence personne ne peut influencer Dieu : c’est pourquoi, selon les stoïciens, dans la nature des choses, il est une évidence que Dieu doit être incapable de sentiment. L’argumentation philosophique tient la route.  Elle poursuit sa propre logique. Et pourtant, pourtant, il en va tout autrement de notre Dieu révélé en Jésus-Christ dans l’Esprit.  Dieu se laisse émouvoir.   Il ne s’agit pas d’un simple sentiment de compassion, d’empathie, de miséricorde face à la douleur d’une personne.  Comme nous venons de l’entendre dans l’extrait de l’évangile de Luc, Dieu se laisse remuer au plus profond de ses entrailles, c’est-à-dire qu’il cherche à vivre au plus profond de lui la douleur de cette veuve. La toute-puissance de Dieu s’inscrit dans cette attitude noble du cœur.  Il est capable de sentiments.  Il s’émeut de ce qu’il peut nous arriver de devoir traverser.  Il ne reste pas insensible à nos pertes sentimentales, physique ou encore économiques.  Il ne nous abandonne pas.  Il porte sur chacune et chacun d’entre nous son regard empreint de bienveillance divine.  Il se laisse ainsi toucher au cœur de son propre cœur par ce qui nous touche et nous émeut.  Et bien évidemment, il nous invite à faire de même lorsque nous nous faisons proches de celles ou ceux qui sont confrontés de plein fouet par la dureté de la vie.   Il nous offre une dynamique d’accompagnement : « voir, s’émouvoir et agir ».  Tout d’abord, nous sommes invités à voir ce qui se vit autour de nous et en nous.  Et voir, c’est plus que regarder.  En effet, en voyant, nous cherchons à percevoir par les yeux, c’est-à-dire à chercher à comprendre ce que l’autre vit et ressent sans pour autant jamais avoir la prétention d’être capable de se mettre à sa place.  En voyant l’être humain dans sa propre réalité de souffrance, nous pouvons alors nous laisser émouvoir par sa situation.  Il peut également nous arriver d’en être complètement remué, voire retourné.  Nous sommes sans voix.  Nous ne trouvons plus les mots ajustés à la situation.  Tout simplement parce qu’il n’y a peut-être plus rien à dire, à ajouter à la brutalité de ce qui se vit.  Le silence est d’or et vraisemblablement beaucoup plus parlant que toutes les phrases que nous aurions apprises.  S’émouvoir, c’est donc être à même de se taire et de contempler le mystère d’une personne en souffrance.  Un regard de tendresse ou la douceur d’une caresse auront plus de poids que tout logorrhée qui sortira de notre bouche.  Toutefois, nous sommes conviés à ne pas nous enfermer dans notre contemplation et à en rester là.  Voir et s’émouvoir ne sont que les prémices de ce qui va nous conduire à agir.  Cette fois encore, il ne nous faut pas chercher les solutions qui souvent ne sont pas en notre possession ou veiller à agir de manière miraculeuse.  Nous n’en avons pas le pouvoir tout en étant capable d’accomplir des miracles.  Notre agir consistera à permettre à la personne de se relever et ce, même au seuil de sa propre vie d’éternité.  Relever un être humain, c’est l’inviter à partir à la rencontre du meilleur de lui-même et  à advenir à sa propre destinée.  Relever un être humain, c’est donc lui permettre de s’accomplir dans le cœur de Dieu.  « Voir, s’émouvoir et agir » : trois verbes tirés de ce récit de la guérison du fils de la veuve de Naïn.  Trois verbes qui nous font entrer dans une dynamique de vie solidaire les uns des autres.  Ils prennent leurs sources au plus profond nos entrailles, là où notre Dieu a choisi de venir habiter en nous.  « Voir, s’émouvoir et agir » sont nécessaires au relèvement de notre humanité. Amen