11ème dimanche ordinaire

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 12/06/16
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2015-2016


Il est classique de dire que la philosophie commence avec l’étonnement. Pour le sage, l’étonnement est la racine de tout questionnement… C’est ainsi que les philosophes aiment à répéter cette phrase d’Aristote : “Tout homme doit commencer par s’étonner. Et s’étonner de ce que les choses sont ce qu’elles sont”.   Dans le curieux récit d’Evangile que nous venons d’entendre, Jésus s’adresse à Simon en lui faisant la liste, non de ce qu’il a fait, mais justement de ce qu’il n’a pas fait. C’est un peu comme si Jésus, loin de toute philosophie, s’étonnait plutôt de ce que les choses ne sont pas! “Tu ne m’as pas versé de l’eau”. “Tu ne m’as pas embrassé”. “Tu ne m’as pas fait d’onction”.  Mal comprise, avouez qu’une telle liste n’est pas loin de constituer un catalogue de reproches culpabilisants… Et rien de plus pénible qu’une personne faisant la liste de ce que nous n’avons pas fait ou que nous aurions du faire…  Mais lire ainsi la réaction de Jésus, c’est finalement entrer dans le jeu de Simon, le pharisien. C’est entrer dans le jeu du permis et du défendu, dans le jeu de la morale, qui prescrit ce qu’il faut bien faire, et donc ce qu’il ne faut pas faire. La morale, vous le savez, dit ce qu’il ne faut pas faire… Et lorsqu’on se place dans le champ de cette morale,  il peut nous arriver de ne pas agir, par peur de mal agir,  de nous taire par peur de mal parler,  de rester silencieux par crainte de blesser,  d’être poli, à défaut d’être vrai …   Voilà le sentiment qui peut parfois nous traverser, par fausse humilité ou timidité, lorsque nous avons peur de mal faire. Et l’Evangile nous rappelle que la foi n’est pas de l’ordre de la morale, et que la peur d’agir sera toujours l’opposé de la foi.  Simon, lui, respecte le protocole, les codes, quitte à se dispenser de vivre ou d’aimer ! Voilà pourquoi Jésus dit à la femme “Ta foi” t’a sauvé. Non pas ton amour, fût-il grand. Mais ta foi, cette confiance qui ose quitter le lieu de la bienséance, pour aimer, même maladroitement…  pour aimer “même trop, même mal” comme dirait Brel.  Le regard de Jésus sur les gestes de cette femme —qui fait ce que la bienséance interdirait de faire— nous rappelle qu’à la racine et l’origine de nos actions se trouvent non le permis et le défendu, mais ce qui amène de la vie ou non, ce qui procure de l’amour, du désir, de la douceur, de la tendresse. Pour paraphraser le provincial, la femme voit, s’émeut et agit. Le pharisien, quant à lui, voit, s’indigne et n’agit pas !  Car l’essentiel du récit est bien ceci : l’opposition entre une peur qui étouffe l’action et la confiance qui la libère. Simon évite d’agir, par peur de mal agir. Par contre la femme aime, quitte à mal aimer... Elle a compris que la confiance croit en osant et en agissant, et que, tout au contraire, la peur grandit dans ces lieux où nous ne sommes pas dans la dépossession…   Voilà pourquoi l’inverse de la foi, ce n’est pas le doute, mais c’est la peur. D’ailleurs, lorsqu’on parle de peur, on est toujours dans le registre de la possession et de l’inaction. On “a” peur. Avoir peur, c’est la la crainte de faire et de mal faire. Tout le contraire avec la confiance. Lorsque l’on fait confiance, et le mot le dit, nous sommes directement dans l’action, et la dépossession de soi, puisqu’on ne fait pas confiance tout seul. Finalement, celui qui a peur est toujours un non pratiquant, un non agissant. Alors qu’il est impossible d’être un confiant non pratiquant…  L’histoire du créancier et des deux débiteurs, c’est donc finalement l’histoire de Jésus face aux deux débiteurs que sont Simon et cette pécheresse. Ni l’un ni l’autre ne peuvent rembourser la confiance, ce qui ne s’achète pas, ne se possède pas, mais ne peut que se donner.  Et puisque la dette des deux débiteurs est remise, en disant “Femme, tes péchés sont pardonnés”, Jésus montre  subtilement qu’il offre également son pardon à Simon.   S’il en est ainsi, à nous d’être contagieux de ce pardon. A nous d’en témoigner, sans peur et sans culpabilité mal placée,  A nous d’aimer, même trop, même mal ! A nous de témoigner à notre tour de cette confiance,  par des actes, même malhabiles,  par des paroles, même maladroites,  par des gestes, même même maladroits,  mais qui s’enracinent dans cette confiance, envers et contre tout. Amen.