11e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Coulée André
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2004-2005

A entendre cet évangile, l'on croirait presque un extrait d'un journal parlé d'aujourd'hui : tant de gens sont désemparés, les foules sont perplexes sur les possibilités d'emploi, les gens sont fatigués de se battre pour vivre, respirer mieux, manger à sa faim, de chercher un endroit où vivre en paix. Tableaux et images de foules qui ne savent parfois plus à quel saint se vouer ; réaction aussi fréquente de notre part d'une espèce d'impuissance à rectifier ces situations devant lesquelles souvent nous restons assis.

Rien de nouveau sous le soleil, me dira-t-on ! Eh bien si ! Jésus est arrivé ; son attitude est nouvelle : il est d'abord pris aux entrailles ; ce n'est pas simplement de la pitié (mauvaise traduction pour la façon dont nous comprenons aujourd'hui ce mot.) En fait, il ressent cette désespérance dans ses tripes, dirions-nous familièrement. Elle devient sienne, il en souffre comme ces foules.

Il est ému et en même temps mû par ce type de compassion qui fait qu'on ne se contente pas de paroles lénifiantes, mais qu'on fait quelque chose, qu'on bouge en se mettant à côté de ceux qui souffrent : Jésus s'émeut et il se meut. Pas d'analyse théorique, mais il réagit avec son c½ur qui le pousse à agir. Cette situation le provoque et lui rappelle que sa mission est de redonner vie à l'humanité, qu'elle devienne heureuse de vivre et d'aimer : c'est cela le salut.

Tâche immense qu'il ne peut accomplir seul, ni d'une manière uniforme ni en un tour de main : la moisson demande tellement de bras et il y a aussi l'urgence car les gens désemparés sont mûrs pour la moisson, pour accueillir un message d'espérance c'est le moment. Il confie donc cette tâche à une douzaine de ses nombreux disciples : petit noyau de démarrage de la grande aventure d'annonce concrète du règne de Dieu.

Premier noyau dis-je car, en fait, nous sommes tous ENVOYÉS (premier sens du mot apôtre), tous parce que baptisés et ayant ainsi pris sur nous la mission, nous sommes aussi ouvriers et prédicateurs de ce salut, nous y prenons notre part. Car si Jésus leur dit de ne pas aller chez les Samaritains ni les païens, mais d'abord aux brebis perdues d'Israël, aux endormis de son peuple, ce n'est qu'une étape préliminaire et à l'Ascension il confirmera bien d'aller chez tous les peuples, à partir de Jérusalem, puis de Samarie jusqu'aux confins de la terre.

Réaliser les signes du Royaume, qu'est-ce à dire ? La mission, nous dit Jésus, c'est de mettre la main à la pâte et de réaliser ce qu'il a donné comme signes de ce Royaume, devenu proche mais pas encore réalisé Il ne s'agit pas d'abord de parler, de faire la morale, mais de libérer chacun des peurs, des fatigues de la route et de la vie, de guérir des angoisses, de conforter chacun dans ses capacités et dans son espérance pour qu'ensemble nous travaillions à guérir le monde. Jésus lui-même s'est présenté comme un médecin venu d'abord pour les malades. Comme pour tout bon médecin, il ne s'agit pas de guérir des symptômes, mais de guérir des causes de maladie, du mal-être et de la désespérance, d'aller à la racine du mal. Et c'est en ce sens qu'on peut aussi parler des démons personnels ou collectifs à expulser. Ces démons de l'avarice, de l'égoïsme, de la vengeance qui font souffrir et excluent.

Dès lors, comme disciples du Christ, nous devons susciter et soutenir tout ce qui aide à faire vivre ; toute recherche médicale, par exemple, qui permettrait de guérir des foules, mais aussi toute recherche, attitude personnelle ou collective qui permettrait à chacun de travailler et de vivre de son travail, toute recherche de réconciliation et de paix qui ferait en sorte qu'il n'y ait plus de réfugiés et que chacun puisse vivre en harmonie chez soi.

C'est aussi soigner les c½urs brisés. Comment soigner cette femme qui m'a téléphoné il y a deux jours exprimant toute la misère de sa solitude qui conduit à la mort tant physique que morale. Notre spécificité dans ce travail sera sans doute de délivrer les hommes et les femmes de tout égoïsme en faisant vivre, de diverses manières et par un tas d'inventions, la fraternité et le souci du bien-être de tous. Jésus lui-même agissait d'abord avant d'expliquer le sens de son action.

La communauté chrétienne n'est crédible - et donc nous-mêmes nous ne serons témoins de notre foi et du salut en Jésus-Christ - que si nous sentons dans nos entrailles la souffrance de nos proches, de ceux qui nous entourent mais aussi de ceux qui sont loin, en ne formant pas un ghetto des « sauvés ».

Nous ne pouvons oublier que si nous sommes heureux de notre foi et de l'espérance qui est en nous du fait que nous savons où nousallons, nous l'avons reçue : qu'as-tu que tu n'aies reçu ? Ce qui inclut un don gratuit d'abord de Dieu en Jésus-Christ, du Christ lui-même, de nos parents : nous ne pouvons pas monnayer ce don, mais il ne s'épanouira en nous que si nous en offrons la saveur, gratuitement. Tout le monde sait que l'amour ne grandit qu'en se donnant. A mon sens, il n'est pas possible d'être disciple de Jésus si nous n'inspirons pas, en nous impliquant personnellement, des recherches, des gestes, des attitudes qui feront qu'existent ces signes du Royaume dont parle Jésus. Guérir, c'est transformer, éliminer les causes du mal pour vivre tout simplement, réaliser avec le Christ l'essentiel de sa mission, lui qui a dit : « Je suis venu pour qu'ils aient la vie , et la vie en plénitude »Le travail de la moisson nous attend tous, avec pour seul salaire la joie de guérir et de faire vivre.