Les évangélistes ont tracé un portrait tellement noir des Pharisiens que ce mot a pris un sens très péjoratif, synonyme d'hypocrite, de tartuffe, de pieux menteur. Cela ne fut pas un des moindres facteurs de l'hostilité développée dans les nations chrétiennes à l'endroit du peuple juif.
Or le mouvement pharisien partait d'une excellente volonté. En terre d'Israël piétinée par les armées païennes et où la ferveur religieuse de beaucoup se relâchait, les Pharisiens se voulaient de vrais fidèles, décidés à appliquer la Loi de Dieu dans toute sa minutie et avec la plus extrême rigueur. Pour eux, ce n'était pas l'usage de la violence, préconisée par le mouvement zélote, qui apporterait la libération du pays mais au contraire l'obéissance la plus exacte possible à toutes les obligations de la Loi, donc à la volonté de Dieu. Néanmoins le judaïsme lui-même reconnaît qu'à côté d'hommes remarquables, le mouvement connut des dérives. Acharnés à pratiquer les plus menus détails des observances, certains pharisiens en oubliaient l'essentiel ; les actes pieux et ascétiques se substituaient à l'amour et au partage ; la mentalité juridique durcissait les c½urs ; on se targuait d'être de meilleurs croyants que les autres, et on méprisait les pécheurs.
On voulait faire son salut !
Bref on se mettait "à part" (pharisien voudrait dire "séparé").
Qui ne voit que ce "pharisaïsme" est une attitude qui peut se retrouver dans toutes les religions et même au sein des traditions laïques. Quelle satisfaction de prendre des engagements supplémentaires dans un "Mouvement" (chrétien ou non), de s'estimer "en règle", de se voir admiré pour ses pratiques, et de dédaigner ceux qui ne parviennent pas à votre hauteur ! ...Oui, "la religion" peut écarter de Dieu !!
Selon St Luc, Jésus, à trois reprises, a accepté une invitation dans une maison pharisienne. Normal : Jésus vient pour tout le monde. Mais, à chaque fois, il ne se gênait pas pour démasquer leur hypocrisie. Ne faut-il pas alerter celui qui se croit en bonne santé alors qu'il est atteint d'une grave maladie ? Avec virulence, Jésus secouait ses hôtes pour leur ouvrir les yeux avant qu'il ne soit trop tard.
Un certain jour donc, Jésus est invité chez un Pharisien nommé Simon. Soudain, une femme se glisse subrepticement dans l'assemblée et s'agenouille derrière le divan où Jésus est allongé (on avait alors adopté les m½urs grecques des repas solennels).
Elle apportait un vase précieux plein de parfum. Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, à ses pieds, et ses larmes mouillaient les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et y versait le parfum.
Choqué, Simon se disait :
" Si ce Jésus était un prophète, un vrai envoyé de Dieu, il saurait qui est cette femme qui le touche et ce qu'elle est : une pécheresse".
La femme reste anonyme (est-ce Marie-Madeleine ?) et elle est connue comme pécheresse (prostituée ?). En tout cas, son impureté notoire doit contaminer celui qu'elle touche. Aux yeux du pharisien, quelle honte pour Jésus d'accepter ce contact ignoble ! Jésus a remarqué la moue de mépris sur le visage de Simon et il l'interpelle en lui racontant une parabole :
Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait 500 pièces d'argent, l'autre 50. Comme ni l'un ni l'autre ne pouvait rembourser, il remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l'aimera davantage ?
"C'est celui à qui il a remis davantage, il me semble". - répond Simon. Juste ! Alors Jésus compare les différences de traitement dont il a été l'objet de la part de cette femme et de la part de son hôte :
A mon entrée, tu ne m'as pas lavé les pieds ; elle les a mouillés de ses larmes. Tu ne m'as pas embrassé ; elle a embrassé mes pieds. Tu ne m'as pas parfumé la tête ; elle m'a versé du parfum sur les pieds.
Et Jésus de conclure par une phrase à la traduction discutée et qu'il vaudrait mieux modifier (comme la T.O.B.) :
"Si je te déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés, c'est parce qu'elle a montré beaucoup d'amour".
Le texte suggère donc que, dans une circonstance non racontée, cette femme a rencontré Jésus, elle lui a avoué son état de péché et Jésus lui a offert gracieusement le pardon. D'où son effervescence, son allégresse qu'elle ne peut contenir, sa gratitude qu'elle exprime par ses gestes un peu fous accomplis ici devant tout le monde. Sa vénération, sa façon d'honorer Jésus montre de quelle immense miséricorde elle a bénéficié. Enfermée dans sa faute, réputée "impure" par l'entourage pharisien, condamnée sans appel, elle venait d'être libérée par le pardon. Comment ne pas faire mille folies lorsqu'on reçoit pareille libération, lorsqu'on se voit restituée dans sa pureté ?..
"Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d'amour" dit Jésus à Simon. Toi, tu es un honnête homme, tu n'as pas connu de grosses défaillances, tu te crois irréprochable, tu n'aurais même pas l'idée d'implorer pitié - en tout cas pas à moi, Jésus. Tu m'as reçu par curiosité, de façon très froide, polie mais sans plus. Tu désirais sans doute avoir avec moi une conversation intéressante sur des questions de théologie, de morale, de liturgie...mais sans jamais te remettre en question. Elle, parce qu'elle était tombée très bas, désirait être sauvée et elle a cru dans la parole de pardon que je lui adressais.
Et Jésus de dire à la femme : " Ta foi t'a sauvée. Va en paix ".
Evidemment ce mot provoque l'effarement, le scandale :
Les invités se dirent : " Qui est cet homme qui va jusqu'à pardonner les péchés ?"
St Luc est probablement un païen converti et il a exulté de présenter Jésus comme le Don de la Miséricorde : ne nous habituons pas aux histoires de Zachée, du bon larron, de Pierre en larmes, à la parabole dite du fils prodigue accueilli par un père qui pleure de joie !
La religion de Jésus n'est pas celle des pharisiens. Non qu'il supprime la Loi et relativise le péché. Le péché est très grave, il tue l'homme. Mais à celui qui, comme la femme, ose avouer sa faiblesse et reconnaître ses chutes, Jésus offre le pardon de Dieu. A une condition : CROIRE. Croire qu'il peut offrir cette miséricorde. Ce qui était tout à fait inouï, exceptionnel, puisque personne, ni prêtre ni rabbin, ne pouvait le faire ! Seul Dieu peut remettre le péché ! ..." Qui est cet homme... ?" Alors éclate une joie toute nouvelle, qui chasse la honte et le découragement à la suite des fautes commises. Devant cette grâce, on ne peut qu'exploser de joie, exprimer sa gratitude, manifester sa reconnaissance.
Nos assemblées réunissent des bons pratiquants honnêtes, appliqués à faire leurs devoirs, persuadés qu'ils sont "des gens bien" et se tenant quitte en chantant distraitement "Seigneur prends pitié". Restons-nous des pauvres, conscients de ne jamais pouvoir édifier leur statue, et suspendus à l'Infinie Miséricorde ?
Quant aux pécheurs, qu'ils ne s'octroient pas, sans plus, le droit de venir à l'assemblée, qu'ils demandent pardon (comme la femme) et croient en la Parole de Paix.
Alors ensemble, nous manifesterons le bonheur extraordinaire d'être, tous, pardonnés par le Christ. L'Eucharistie sera le chant d'action de grâce unanime des pécheurs sauvés par la seule Croix du Christ..