Depuis de longs mois, dans sa vie, c'était la nuit profonde. Il se rappelle encore du temps où c'était la pénombre. Par contre, quant aux jours de clarté, c'est comme si on écrivait un conte. Seul, au plus profond de sa solitude, il se demandait si un jour, la lumière brillera à nouveau dans sa vie. Si encore, c'était gris, mais non, même pas, tout était vraiment noir. Il était écrasé, terrassé par le poids des soucis, des drames, des malheurs sur lesquels il n'arrêtait pas d'aller de trébuchements en trébuchements. Etait-ce la chance qui avait tourné ? Qu'avait-il fait au bon Dieu pour mériter un tel sort ? Comme si, le sens n'avait plus de sens. Il voguait par delà les ruelles la vague à l'âme, regardant sans regarder, enfoui dans ses pensées. Jusqu'au jour, jusqu'au crépuscule d'une nouvelle vie, où il remarqua quelque chose dans l'étalage d'un magazin qui vendait à la fois tout et rien : un brolle winkel, aurait dit ma grand-mère. Son regard intrigué se mit à contempler un objet que les mots ne pouvaient définir mais dont l'étiquette indiquait tout simplement « fragment de bonheur trouvé au paradis ». « Fragment de bonheur trouvé au paradis ». Drôle de nom pour un objet, drôle de titre également pour une homélie. Et pourtant, je crois qu'il réflète assez bien l'évangile de ce matin (soir), surtout si nous acceptons d'en faire une lecture pour aujourd'hui.
Parfois, la vie peut nous submerger de problèmes, de difficultés. Ces derniers font des vagues dans nos quotidiennetés et peuvent se transformer en véritable tempête de doute, de tension ainsi que d'inquiétudes. Lentement mais sûrement nous sentons nos certitudes couler au coeur de cet océan houleux. Nos forces s'amenuisent et nous n'arrivons plus à ramer à contre courant. Un vertige nous prend face à ce tourbillon dont on ne voit plus le fond. L'eau devient un danger réel.
Mais malgré cela, au coeur de ma propre tourmente me revient à l'esprit, cette superbe phrase du Pasteur d'Hermas : il faut construire sur du solide, c'est-à-dire sur de l'eau. L'eau du baptême, celle qui nous conduit à nouveau vers Jésus, celui qui sommeille à l'arrière de nos barques respectives. Doucement, tendrement, comme s'il ne voulait pas que sa présence nous envahisse et nous empêche d'avancer, de continuer, il se réveille et dit à notre vent : « silence, tais-toi ». Non pas un ordre impératif, dictatorial mais plutôt une invitation à un retour, à une certaine paix.
Jésus, le Christ, par son injonction à la mer, nous rappelle nous dit le livre de Job qu'il est également Dieu. Un Dieu proche de ses disciples, un Dieu qui se repose mais qui ne demande qu'à être réveillé pour nous guider au travers de notre propre tempête. Il nous invite à retrouver en nous cette paix intérieure, ce silence tout habité de sa présence. Lorsque nous sommes submergés, Jésus nous rappelle que contrairement à ce que nous pensons, nous ne sommes pas seuls à traverser cette vallée de larmes, qu'il peut, mais seulement si nous le souhaitons, être un Dieu qui nous conduit vers cette redécouverte d'un bien-être intérieur. Il nous convie à refaire le pari de la confiance. Lui, il est Dieu. Nous, nous ne le sommes pas. Arrêtons alors de jouer à Dieu, seul ou avec d'autres, en voulant tout résoudre par nous-mêmes. Il y a des situations qui nous dépassent. Dieu ne nous dépasse-t-il pas par définition. Tournons-nous vers lui et offrons-lui les tempêtes de nos vies. Je ne crois pas qu'il résoudra tout. Par contre je suis convaincu qu'en me tournant à nouveau vers lui, il m'aidera à retrouver une paix intérieure qui me permettra de prendre la distance nécessaire par rapport aux événements douloureux que je peux traverser. Par son injonction, il nous montre un chemin possible. « Tais-toi », signifie ne parle pas, mais également abandonne-toi, laisse-toi aller, donne-toi, ne fais pas seulement silence mais sois silence. Les mots ne sont plus nécessaires, je t'ai compris. Un sentiment suffit. C'est cette distance-là avec nous-mêmes qui nous permettra de reprendre un chemin possible de vie.
Aujourd'hui, lorsque Jésus nous dit : « silence, tais-toi », il nous offre, je crois, « un fragment de bonheur trouvé au paradis ». Puissions-nous alors un jour répondre à sa question : « pourquoi avoir peur ? ».